Sortir du chaos: Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient

Auteur : Gilles Kepel
Editeur : Gallimard

L'horreur du «califat » de Daesh au Levant entre 2014 et 2017 et son terrorisme planétaire ont été une conséquence paradoxale des «printemps arabes» de 2011. Pourtant ceux-ci avaient été célébrés dans l'enthousiasme des slogans démocratiques universels et de la «révolution 2.0». Comment s'est installé ce chaos, et peut-on en sortir pour de bon après l'élimination militaire de l'«État islamique»? Ce livre replace les événements en contexte, depuis la guerre d'octobre 1973 (du «Kippour» ou du «Ramadan»), suivie de l'explosion des prix du pétrole et de la prolifération du jihad, à travers ses trois grandes phases depuis l'Afghanistan et Al-Qaïda. Puis il propose le premier récit complet rétrospectif des six principaux soulèvements arabes, de la Tunisie à la Syrie. Il expose enfin lignes de faille et pressions migratoires en Méditerranée et au Moyen-Orient, et éclaire les choix décisifs qu'auront à faire Emmanuel Macron, Donald Trump ou Vladimir Poutine, ainsi que les peuples et les dirigeants de cette région - mais aussi les citoyens de l'Europe. Nourri de quatre décennies d'expérience, de séjours sur le terrain, avec des cartes inédites, Sortir du chaos est de la plume de Passion arabe et offre la précision de Terreur dans l'Hexagone - les deux grands succès récents de l'auteur.

8,50 €
Parution : Février 2021
Format: Poche
544 pages
Collection: Folio
ISBN : 978-2-0729-1770-7
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Extrait

Introduction

Quatre décennies avant la rédaction de ce livre, en 1977-1978, je passai une année en Syrie, boursier de langue arabe à l’Institut français de Damas. C’était une étape obligée pour les arabisants en herbe, le sésame qui nous introduirait dans la caverne où étaient celés les secrets grammaticaux et phonologiques de l’Orient qui nous passionnait. À de rares exceptions près, nul n’entrait alors dans la carrière s’il n’avait séjourné au « Shâm » comme nous disions entre nous, utilisant le vieux terme sémitique encore usité dans le dialecte local qui signifie à la fois le Levant et sa capitale traditionnelle. Dans la géographie musulmane où l’on fait face à La Mecque à partir de l’Occident, le Shâm désigne la gauche, ou le Nord, et son opposé le Yémen, la droite, ou le Sud.
Aucun de mes camarades ni moi n’aurions pu imaginer que, quarante ans plus tard, ce même terme de Shâm deviendrait le cri de ralliement des jihadistes des banlieues françaises rejoignant les rangs de l’« État islamique » (ou Daesh) pour y massacrer les « apostats » — et notamment les alaouites, cette confession ésotérique à laquelle appartenait Hafez al-Assad, le président syrien (son fils Bashar avait douze ans à l’époque) — avant de revenir tuer leurs propres concitoyens « infidèles », au Bataclan ou au Stade de France. Et dans mes pires cauchemars je n’avais jamais songé que je me retrouverais en juin 2016 condamné à mort en tant qu’arabisant chevronné par un daeshien franco-algérien de Roanne et Oran, installé dans la ville syrienne de Raqqa où l’« État islamique » avait établi son éphémère capitale. La sentence avait été prononcée via l’application Facebook.live utilisée par un affidé du premier, assassin franco-marocain d’un policier et de son épouse à Magnanville, dans les Yvelines. Et que je serais par voie de conséquence contraint de vivre à Paris, en plein Quartier latin, sous protection policière. Bien sûr, à l’époque Internet était inconnu, inenvisageable, impensable, et l’atlas en deux dimensions donnait à voir des États confinés par des frontières correspondant à autant de territoires délimités par d’épais traits noirs. Telle était la carte de l’Empire romain accrochée au-dessus du tableau dans la classe de Lettres supérieures en 1974 qui suscita mon rêve d’Orient et me poussa à embarquer l’été suivant sur un bateau à Venise pour Istanbul, le Levant et l’Égypte, afin de découvrir les contrées charnelles qu’elle dessinait. On ne pouvait aucunement anticiper l’infini carambolage que la toile numérique et les réseaux sociaux introduiraient dans les esprits et les représentations du monde, la confusion mentale qui irait de pair avec l’effacement de la distance et de la perspective, la disparition des repères de l’espace et du temps qui nous a fait perdre la boussole quarante ans plus tard.

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