Le schmock

Auteur : Franz-Olivier Giesbert
Editeur : Gallimard

Au plus fort de la guerre, Harald Gottsahl, un officier nazi, abrite Lila, une jeune Juive dont il est amoureux. Mais ils perdent contact lorsqu’elle est contrainte de fuir. Des années plus tard, Lila le retrouve sous sa véritable identité : Élie Weinberger. Que cache l’histoire de ce juif, travesti en officier nazi pour survivre ?
Remontant le temps, ce roman nous raconte l’étrange lien qui unit les familles Weinberger et Gottsahl. Deux familles issues de la bourgeoisie allemande éclairée, l’une juive, l’autre catholique. Deux familles au destin différent et indissociable des pires horreurs de la première moitié du XXe siècle.

7,50 €
Parution : Février 2021
Format: Poche
448 pages
Collection: Folio
ISBN : 978-2-0729-2317-3
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Extrait

Prologue

Quand j’étais enfant, mon père, Américain vivant en France, marié à une Normande, m’emmena deux ou trois fois au volant de sa 4 CV retrouver la branche germanique de sa famille en Rhénanie, dans des réunions mortelles qui me rappelaient les goûters suivant les funérailles.
Mon père était un ancien GI qui avait débarqué en Normandie le 6 juin 1944 au matin, dans une des premières vagues. Un « héros » américain de la Deuxième Guerre mondiale, bardé de décorations, qui refaisait le monde avec ses tantes et oncles issus d’un pays qu’il avait combattu. Il n’instruisait pas leur procès mais tous avaient des têtes de condamnés, de tragédie.
Si mon père était venu avec un membre de la branche juive de la famille, sise aux États-Unis, je suis sûr qu’ils auraient fondu en larmes, tant la plupart se sentaient coupables. Scolarisé un temps en Rhénanie, il parlait un allemand parfait. Pour ma part, je ne comprenais à peu près rien de ce qui se disait mais je percevais un malaise entre une aïeule, réputée nazie, et son frère qui avait fait de la prison sous Hitler.
Je ne le jurerais pas, mais il me semble que c’est ce dernier qui appelait Hitler le «schmock», un nom yiddish. C’était la première fois que j’entendais ce mot dans une autre bouche que celle de mon père, grand lecteur de Leo Rosten qui, dans Les Joies du yiddish, ouvrage de référence, le définit comme obscène, avec trois sens: pénis, con, salaud.
Autant vous dire que je ne partageais pas les affres de tous ces Giesbert. Je suis de sangs mêlés, normand, allemand, autrichien, juif, anglais, écossais, peut-être même antillais et amérindien, si l’on croit les légendes familiales. Quand on est de partout, on n’est de nulle part. Jeune, je ne me sentais donc pas concerné par l’histoire de mes lointains cousins de Germanie.
Après l’adolescence, mon inconscient m’inclina à lire beaucoup et même de manière compulsive sur le IIIe Reich, mais j’avais beau lire les plus grands auteurs, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tant d’Allemands «bien», respectables, avaient pris à la légère la montée du nazisme tandis que les Juifs tardaient étrangement à fuir. Quand on se penche sur le passé, il apparaît en effet que tout était écrit, programmé avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
Ces questions-là n’ont plus cessé de me hanter. Par quelle aberration, à cause de quelles complaisances, quelles lâchetés, le nazisme fut-il possible ? Qu’était-il arrivé à l’Allemagne qui, avec l’Autriche, avait enfanté Jean-Sébastien Bach, Hildegarde de Bingen et Rainer Maria Rilke ? Comment cela a-t-il pu advenir ?
Il n’y a que les fous pour tenter de répondre à ce genre de questions, les fous ou les romans.

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