L'italien
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Elena Arbués, libraire d'Algésiras, une jeune veuve dont le mari a été tué au cours de l'attaque contre la marine française à Mers el-Kébir, voit son destin chamboulé par le hasard. Lors d'une balade sur la plage, elle découvre le corps d'un homme blessé, ramené par la mer. En lui sauvant la vie, elle se retrouve impliquée dans des opérations militaires qui se jouent sous ses yeux, car cet homme, Teseo Lombardo, fait partie d'un groupe de plongeurs de combat italiens qui s'infiltrent par la mer dans le port de Gibraltar, à dos de torpilles autopropulsées, pour déposer des charges explosives sous les bateaux ennemis. Par désir d'aventure (ou pour venger son mari ?), Elena décidera de participer secrètement aux opérations de sabotage. Elle franchira la frontière jusqu'à Gibraltar, où le danger l'attend, très loin de ses livres et de la vie de solitude à laquelle elle se croyait condamnée. Roman d'amour, de mer et de guerre, L'Italien est aussi le récit de l'enquête menée par un journaliste d'investigation espagnol qui reconstitue, au gré de témoignages des survivants, l'histoire d'amour d'Elena et de Teseo, et nous raconte avec brio cet épisode oublié de l'affrontement entre les hommes de la Royal Navy et les commandos italiens en Méditerranée.
Extrait
C’est le chien qui le découvrit. Il courut jusqu’au rivage et resta à flairer et à remuer la queue tout en grognant doucement à côté de la masse noire, immobile entre le sable et l’eau couleur de nacre qui reflétait la première lumière du jour. Le soleil n’avait pas encore dépassé l’ombre obscure du Rocher, la projetant sur la surface de la baie silencieuse et calme comme un miroir, éclaboussée de bateaux au mouillage, leur proue tournée vers le sud. Le ciel était bleu pâle, sans un nuage, seule le troublait la colonne de fumée qui s’élevait près de l’entrée du port ; là où un navire, touché au cours de la nuit par un sous-marin ou un raid aérien, brûlait encore au petit matin.
« Argos !… Viens ici, Argos ! »
C’était un homme. Elle en eut la confirmation alors qu’elle s’approchait, le chien gambadant maintenant entre elle et la masse immobile, comme s’il l’invitait joyeusement à partager sa trouvaille. Un homme vêtu de caoutchouc noir, mouillé et luisant. Il était allongé sur le rivage, le visage et le torse sur le sable et les jambes encore dans l’eau, comme s’il avait rampé jusque-là ou qu’il avait été déposé par la marée. À la taille, il portait un couteau attaché par des lanières, au poignet gauche deux étranges montres de grande taille, au poignet droit, une troisième. Les aiguilles de l’une d’entre elles indiquaient 7 h 43.
Elle s’agenouilla à côté de lui sur le sable mouillé et lui toucha la tête : ses cheveux étaient noirs, coupés court. Sur sa poitrine pendaient un masque en caoutchouc et un étrange appareil composé de deux cylindres métalliques. Il saignait du nez et des oreilles et était certainement mort. Elle se rappela les explosions nocturnes, les projecteurs de la défense antiaérienne qui avaient illuminé le ciel et le navire en flammes, et un instant elle pensa qu’il s’agissait peut-être d’un marin. Mais elle comprit aussitôt que l’homme ne venait pas de l’un des navires au mouillage dans la baie, mais de la mer elle-même. Ou du ciel. C’était un aviateur ou un plongeur. Peut-être l’un de ces Allemands ou Italiens qui attaquaient Gibraltar depuis deux ans. La ligne de démarcation entre l’Espagne et la colonie britannique ne se trouvait qu’à trois kilomètres, en longeant la plage en direction de l’est.
Elle s’apprêtait à se relever pour informer la Guardia Civil – il y avait un poste tout près, à l’intérieur des terres, dans la zone militaire de Campamento – quand elle crut l’entendre respirer. Elle se pencha à nouveau au-dessus de lui, posa deux doigts sur sa bouche et son cou et sentit alors un léger souffle et le très faible battement du pouls dans l’artère. Elle regarda autour d’elle, ne sachant que faire, cherchant de l’aide. La plage était déserte : d’un côté, l’arc de sable qui menait à la ville de La Línea et à la frontière, et de l’autre, les petites maisons lointaines et dispersées des pêcheurs de Puente Mayorga qui, à cette heure, s’affairaient dans la baie. Il n’y avait personne en vue. L’habitation la plus proche était sa propre maison, à une centaine de pas du rivage : une petite construction de plain-pied entourée de palmiers et de bougainvilliers.
Elle décida d’y emmener l’homme pour l’aider avant de prévenir les autorités. Et cette décision changea sa vie.

