Tssitssi

Auteur : Claire Castillon
Editeur : Gallimard

Hélène a de moins en moins envie de répondre quand on l'appelle Hélène. Ça jure avec l'image qu'elle renvoie. Elle a quand même 1000 followers sur insta, et depuis qu'elle pose en bikini, ça monte. Tssitssi, c'est son pseudo, mystérieux, sifflant, enfantin. Les vieux vont adorer. À 16 ans, elle rêve de luxe et d'oisiveté. Mais son discours impertinent, porté par une verve féroce, laisse entrevoir peu à peu une blessure, un secret. Loin de l'imaginaire dans lequel elle s'est réfugiée, elle nous apparaît vulnérable, abîmée, bouleversante.

19,00 €
Parution : Février 2025
176 pages
Collection: Blanche
ISBN : 978-2-0730-5807-2
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Extrait

Ever ou Ilona. Si je veux vivre des relations de haut niveau, qu’on me sorte aux Champs-Élysées ou dîner à l’Oppio, il faut que je change de prénom. T’offres pas un Ophidia à une Hélène qui vit à Meudon. Je préfère un Vuitton en plus. De toute façon, j’en peux plus des marques pourries. C’est honteux, ça fait travailler les enfants du bout du monde dans des sous-sols. Et c’est pas écologique de porter des jeans qui prennent l’avion pour venir. Donc je suis beaucoup plus écoresponsable si j’ai des fringues Gucci. Pas comme la mère des jumeaux. Elle a plein d’écharpes Monop bien cheap, et elle sait même pas que si elle veut se tonifier, il faut avoir froid. Moi, je m’en fous de ma cellulite depuis que j’ai vu un film avec Marilyn Monroe. Elle en avait, mais elle plaisait aux mecs, donc je fais comme elle. Je sors jamais avec une écharpe dans le décolleté. S’il lui arrive rien à la mère des jumeaux, c’est qu’elle n’attire pas grand-chose, à part mon père ou le retoucheur qui l’appelle ma grande, avec son 85 B, ses triangles sans armature et sa Cologne à la rose. En parfum, il faut mettre un truc qui absorbe les autres. Moi, quand je passe avec mon Herrera, je crée une vague.

Ce que j’aime vraiment dans l’argent, c’est le goût. En fait, l’argent c’est ce que je mangerais si j’avais pas d’estomac. Mais je suis obligée de manger ce qu’il y a sur la table, le soir en tout cas. Parce qu’à midi, je suis seule. Alors quand j’aime pas, je jette. À la place, je prends une mozzarella, non, une burrata, comme ils servent à l’Oppio, un plat bien de là-bas. Je sais plus si c’est Italie, Cancún, Formentera, mais pas un pays nul comme ici. J’assaisonne avec de l’huile d’olive, de la fleur de sel, je m’éclate. La mère des jumeaux connaît que le Cérébos, la pauvre. Plus tard, je vivrai au bord de la mer. Il fait tout le temps chaud, tu es bronzée, tu vends des spartiates, et c’est bon. Si les autres veulent vivre comme des clodos, pas de problème, mais moi, le midi, je finis pas la salade d’endives, pomme gruyère, ni les œufs durs de la veille. Je mange les trucs neufs, en réserve dans le frigo, et je jette le reste en mentant le soir : oui-oui bien sûr que j’ai terminé les merdes, sauf que j’avais encore faim, alors j’ai entamé le jambon sous vide. Et non, je l’ai pas fini, j’avais pas envie de me taper 500 grammes de Parme, mais comme je veux éviter d’avoir à en rebouffer le lendemain, je jette. Ça, je leur dis pas. Mes ongles rayent la poubelle. Je fais la bouche en forme de cul. Salut le Parme, fais plaisir à des pauvres. J’adore.

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