Les amants de Casablanca

Auteur : Tahar Ben Jelloun
Editeur : Gallimard

«Ils avaient regardé ensemble Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman. Ils étaient jeunes et amoureux. Très amoureux. Ils avaient trouvé ce film fort et désespéré. Ils venaient juste de se marier et, leurs études terminées, chacun entrait dans la vie active. Lui comme médecin pédiatre, elle, pharmacienne. Ce fut son père qui lui acheta la pharmacie Derb Ghellef dans un des quartiers les plus vivants du centre-ville, dans la médina de Casablanca. Lui reprit le cabinet de son oncle qui avait une clientèle fidèle. La vie était facile, le ciel d'un bleu limpide et la paix régnait sur leur monde. Ils avaient ri à la fin du film, convaincus que cela ne leur arriverait jamais.» Casablanca, 2016. Nabile et Lamia forment un couple solide depuis plus de dix ans. Jusqu'au jour où elle s'éprend de Daniel, un homme à la réputation sulfureuse. Six mois plus tard, elle demande le divorce... Quel avenir pour une femme ambitieuse dans un monde patriarcal où la liberté se paie au prix fort ? Entre fresque sociale et roman psychologique, Les amants de Casablanca, magnifique histoire d'amour, explore la grande aventure du mariage, les oscillations du désir, les petits arrangements avec la religion et la capacité de l'être humain à embrasser ses contradictions.

8,90 €
Parution : Mars 2025
352 pages
Collection: Folio
ISBN : 978-2-0730-5877-5
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Extrait

2016

Ils avaient regardé ensemble Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Ils étaient jeunes et amoureux. Très amoureux. Ils avaient trouvé ce film fort et désespéré. Ils en avaient ri. Ils venaient juste de se marier et, leurs études terminées, chacun entrait dans la vie active. Lui comme médecin pédiatre, elle, pharmacienne. Ce fut son père qui lui acheta la pharmacie Derb Ghellef dans un des quartiers les plus vivants du centre-ville, dans la médina de Casablanca. Lui, reprit le cabinet de son oncle qui avait une clientèle fidèle. La vie était facile, le ciel d’un bleu limpide et la paix régnait sur leur monde.
Ils avaient ri à la fin du film, convaincus que cela ne leur arriverait jamais. Eux, c’était du solide. Et puis ils appartenaient à des familles où l’on ne divorçait pas, où l’infidélité était de l’ordre de l’inconcevable. La famille était la base de tout, on ne faisait rien en dehors.
Fès, dont étaient originaires leurs parents, est la ville de la tradition et de l’authenticité. On ne badine pas avec ses valeurs. Les Fassis ne se mélangent pas et ont peur du changement. Ce sont des conservateurs. Ils se marient entre eux, se fréquentent entre eux. Quand, au début des années cinquante, les affaires ont périclité, ils ont tous ou presque émigré à Casablanca où ils ont recréé non pas la ville de Fès, mais son esprit, ses coutumes, ses façons d’être. Et les affaires ont prospéré. Les Fassis ne sortent pas des rails, ne divaguent pas, ne laissent pas de place à la fantaisie ou au désordre.

Lui était brun, grand de taille, les yeux tirant vers le gris, assez sportif. On disait de lui qu’il était « beau gosse ». Élégant, il soignait son apparence et s’habillait sans chercher à être à la mode. C’était un homme simple dont les principales qualités étaient la gentillesse et la courtoisie. Éduqué, il avait une passion pour la culture. En cela, il était différent de ses camarades d’études. L’habitude de la lecture lui avait été transmise par son père.
Elle était petite de taille, assez menue, bien proportionnée, elle avait la peau très blanche comme la plupart des filles de Fès, un joli grain de beauté sur la joue gauche. Intelligente et volontaire, elle était ambitieuse et le disait. La couleur de ses yeux variait, ils étaient tantôt bleus, tantôt verts. Son corps était svelte. Elle aussi faisait du sport. Lire des romans n’était pas sa préoccupation principale ; elle préférait regarder des films ou des séries romantiques. Elle choisissait ses vêtements avec soin, se maquillait légèrement, se moquait des marques depuis qu’elle avait parcouru le livre de Naomi Klein No Logo. Elle disait : « Pas de tyrannie. »

Ils s’étaient installés dans un appartement à mi-distance de la pharmacie et du cabinet. Ils avaient pour projet de se faire construire une villa dans les hauteurs d’Anfa, quartier résidentiel bourgeois. C’est une partie de Casa où on a préservé les espaces verts. Anfa est une colline dominant toute la ville et qui donne sur la mer ; les premières villas y ont été construites au début des années trente dans un style mêlant l’Art déco et l’art traditionnel de l’artisanat fassi.
La vie leur souriait. Ils aimaient leur travail et ne crachaient pas sur l’argent. Les deux familles se fréquentaient et s’appréciaient. Les jeunes mariés, issus du même milieu, étaient satisfaits. L’appartement était tenu par deux femmes, des bonnes, des paysannes qui travaillaient sans compter.

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