Balanegra

Auteur : Marto Pariente
Editeur : Gallimard

À la mort de son frère, Coveiro est venu s'installer à Balanegra pour s'occuper de Marco, son neveu autiste et désormais orphelin. Après avoir été tueur à gages, le voici devenu fossoyeur : une sinécure ! Mais lorsque Marco - qui passe son temps à arpenter le cimetière - est enlevé quelques heures à peine après l'inhumation d'un politicien accusé de pédophilie et décédé étrangement lors d'une reconstitution judiciaire, Coveiro n'a d'autre choix que de ressortir les armes et de réveiller le tueur qui sommeillait en lui. Un western noir, drôle et sanglant.

Traduction : Sébastien Rutés
20,00 €
Parution : Avril 2025
224 pages
Collection: Série noire
ISBN : 978-2-0730-8751-5
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Extrait

Coveiro

Il allait falloir encore deux bonnes heures au vieux fossoyeur de Balanegra pour rentrer chez lui. Les mains vides. Il parcourut le chemin sans hâte, le soleil du matin qui montait dans son dos rétrécissait son ombre. Il suivit le ravin et laissa derrière lui les contreforts de la sierra, à l'endroit où l'or des champs moissonnés parsemés de chênes verts succède aux ronces brunes et à la noirceur du granit et de l'ardoise. Après quelques minutes de descente, les étroits sentiers tracés par des animaux et les pierriers humides sous les broussailles finirent par disparaître. Il longea alors un champ de blé, avec ses balles de foin prêtes pour le transport. Il s'arrêta pour rajuster la bretelle de son fusil sur son épaule. Il cracha sèchement entre ses dents, le bout de sa langue pointant sous ses incisives, et essuya la sueur de son front avec la manche de sa chemise.
Voilà plus d'une semaine qu'il suivait cette piste et, bien qu'il ait eu l'animal dans sa ligne de mire, il rentrait encore bredouille. Il se demanda si vieillir voulait nécessairement dire mollir.
Qu'est-ce qui avait bien pu se passer là-haut ?
Rien, essayait-il de se persuader, en tout cas rien de grave. À son âge, il n'aurait pas aimé que des fantômes se mettent à le hanter au beau milieu de la nuit, surtout des fantômes familiers. Il en connaissait, des gens comme ça. Des histoires de types qui avaient pété un plomb longtemps après avoir changé de vie.
Il s'efforça de ne plus y penser.
D'accord, mais en attendant, tu n'as pas tiré, se dit-il.
Le clocher de l'église du village apparut dans le lointain, par-dessus les bois de la vallée. Il arriva au bord de la rivière, s'agenouilla pour se rafraîchir le front et la nuque, porta un peu d'eau à sa bouche dans le creux de sa main et la recracha. La crosse reposait sur les pierres, le soulageant du poids du fusil.
Il resta un bon moment dans cette position, à regarder son reflet s'effilocher dans le courant comme si la rivière voulait effacer toute trace d'humanité.
Tous les jours, le vieux fossoyeur partait avant l'aube avec sa gibecière, son couteau de chasse et son fusil, et rentrait vers dix heures du matin. Toujours les mains vides. Depuis qu'il s'était installé dans la maison du cimetière, près de deux ans plus tôt, il n'avait pas fait une seule prise. Rien. Pas un chevreuil, pas le moindre sanglier. Depuis longtemps, il ne tirait plus le petit gibier. Sa main se faisait moins ferme et, sans chien, ces animaux n'étaient pas faciles à pister. Quant aux lapins, renards ou lièvres qui croisaient son chemin par hasard, il se refusait à les tirer. Comme excuse, il se disait qu'il n'avait jamais tué de cette façon.
Jamais.
Et il n'avait pas l'intention de commencer maintenant.

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