L'assassin Eighteen
« J’attends que quelqu’un vienne me tuer. Cette nuit, toutes les conditions sont réunies. »
L’agent Seventeen s’est retranché dans la maison de Sixteen, son prédécesseur dans une lignée de super tueurs à gages. Il sait que quiconque aspire à devenir Eighteen devra d’abord l’éliminer. Mais lorsqu’une balle étoile le verre blindé de la baie panoramique du salon, le sniper se révèle être une fillette d’une dizaine d’années, mutique, farouche et terrifiée. Qui est-elle ? Pourquoi elle ?
Extrait
J'attends que quelqu'un vienne me tuer.
Cette nuit, toutes les conditions sont réunies. Plus tôt dans la soirée, une petite brise soufflait, mais maintenant tout est calme, à peine un léger balancement à la cime des arbres, pas de quoi dévier une balle de sa trajectoire. La lune, presque pleine, est assez haute pour permettre à un sniper de gagner sa position de tir, mais pas assez pour que je le repère. Il y a un mois, vu de la colline en face, j'aurais été invisible, mais les feuilles ont commencé à roussir et à tomber, et à présent, la voûte de la forêt offre un angle de tir dégagé sur plus d'un kilomètre.
Cette maison n'est pas la mienne. C'était celle de Sixteen, mon prédécesseur, le seizième dans une lignée de tueurs professionnels qui remonte aux Romanov. Certains furent des espions, d'autres des renégats, des saboteurs, des idéalistes ou des policiers, et dans un cas, un orphelin ramassé dans les rues de Saint-Pétersbourg. Mais tous connurent la même fin : les bras couverts jusqu'au coude du sang de leur prochain, puis, tôt ou tard, du leur.
Pour tourner, la mécanique du monde a besoin qu'on graisse ses rouages. Le lubrifiant, c'est nous. Les mouches qui se gavent et éliminent la merde de l'humanité, les asticots qui nettoient ses blessures purulentes. Les soupapes de sécurité qui empêchent la chaudière d'exploser, la chaîne des commandements pour éviter un nouveau Tchernobyl. Nous sommes ce petit Hollandais de légende qui empêche l'eau de passer par-dessus la digue de l'histoire.
Ou une connerie du genre.
Le numéro, c'est un trophée que tes pairs te décernent par acclamation. C'est comme être choisi reine du bal ou créatif de l'année dans une agence de pub, sauf que l'assassinat est notre domaine. Dans le bon vieux temps, on travaillait seul, on se signalait par une chiquenaude sur le bord d'un chapeau ou d'un doigt posé sur le nez, et en récompense, on touchait des diamants cousus dans des ourlets de vestes, des valises de billets, des obligations au porteur, ou un compte numéroté dans une banque à Zurich. Et aujourd'hui ? On se fait payer en cryptomonnaies, par des opérations fictives de jetons non fongibles ou de fausses transactions de biens immobiliers, par le biais de sociétés offshore et de blanchisseurs d'argent professionnels.
On accepte aussi le liquide.
Les assassins tels que nous sont au sommet d'un iceberg de mort et de trahison, une variation perverse du star-système hollywoodien, avec ses nababs, ses intermittents et ses stars. Être la tête d'affiche rapporte gros, mais si bon qu'on soit, il y aura toujours un enfoiré avec des étoiles plein les yeux qui essaiera d'escalader le mât de cocagne pour se hisser à notre hauteur, afin de nous faire prendre une retraite définitive.
Les quinze premiers numéros, de One à Fifteen, avaient tous déjà trépassé à ma naissance – aucun de mort naturelle, mais ils s'y attendaient. Sixteen aussi nous a quittés. Ce n'est pas moi qui l'ai tué, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. À sa disparition, j'ai pris sa place, ses habitudes et son identité.
Il s'appelait Sixteen.
On m'appelle Seventeen.