Okavango

Auteur : Caryl Férey
Editeur : Gallimard

Engagée avec ferveur dans la lutte antibraconnage, la ranger Solanah Betwase a la triste habitude de côtoyer des cadavres et des corps d'animaux mutilés. Aussi, lorsqu'un jeune homme est retrouvé mort en plein coeur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va lui donner du fil à retordre. D'autant que John Latham, le propriétaire de la réserve, se révèle vite être un personnage complexe. Ami ou ennemi ? Solanah va devoir frayer avec ses doutes et une très mauvaise nouvelle : le Scorpion, le pire braconnier du continent, est de retour sur son territoire...
Premier polar au coeur des réserves africaines, Okavango est aussi un hymne à la beauté du monde sauvage et à l'urgence de le laisser vivre.

9,90 €
Parution : Janvier 2025
Format: Poche
544 pages
Collection: Folio policier
ISBN : 978-2-0730-8806-2
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Extrait

D'étranges rumeurs couraient sur Wild Bunch ; elles disaient que des hommes s'y transformaient la nuit, que les empreintes de leurs pas disparaissaient soudain du sol, qu'ils devenaient lions, ou léopards, qu'ils tuaient au hasard ceux qui s'aventuraient sur leur territoire, qu'on retrouvait des cadavres lacérés au-delà des clôtures électrifiées, à demi dévorés… Isra n'était pas rassuré en foulant le sol de la réserve. L'homme qui l'avait embauché comme pisteur s'en moquait, il n'était pas d'ici, trop blanc pour craindre les esprits qui depuis toujours rôdaient autour des bêtes sauvages.
Celui qu'on appelait le Baas avait débarqué dans son village avec sa casquette NYC, ses lunettes de soleil et son pick-up, distribuant des Coca aux désœuvrés que la pandémie avait jetés au chômage, et ils n'avaient pas tardé à sympathiser. Les Ovambos (les « bonnes personnes ») n'étaient pas des gens méfiants. Isra avait aussi accepté la nourriture que le Baas avait apportée les jours suivants, les tee-shirts, puis le téléphone portable, jusqu'à devenir redevable, dépendant. Alors, quand son bienfaiteur lui avait proposé de l'argent pour pister des rhinocéros, Isra avait accepté. Dix mille dollars namibiens – environ 620 euros – pour un simple repérage de nuit : soit dix chèvres, la possibilité de se constituer un petit troupeau. Un autre avenir.
Le Baas assurait qu'il avait un moyen sûr de pénétrer dans la réserve de Wild Bunch, les rhinocéros y étaient nombreux, dont un spécimen à longue corne qui serait sa cible principale. Isra profiterait de l'aube pour localiser les bêtes, un jeu d'enfant pour un pisteur de sa trempe, avant de retrouver le Baas au point de rendez-vous.
Le jeune Ovambo avait suivi le plan, une boule au ventre à l'idée de croiser des hommes à crinière de lion, mais il s'était faufilé sans encombre. Avec la lune pour guide, puis les premières lueurs du jour, Isra avait fini par débusquer deux déjections différentes, qui dataient de quelques heures : la plus grosse, terminée par une petite crête, était celle d'un mâle, la seconde, plus ronde, celle d'une femelle. Isra avait suivi les traces des rhinocéros dans le bush puis ce maudit vent d'est s'était mis à souffler.
Un vent sec et poussiéreux qui surgissait soudain et mordait le paysage. Une des plaies du Kalahari.
Le pisteur ne tarda pas à livrer bataille contre la furie qui étreignait sa gorge, le poussait en rafales désordonnées sur le sol inégal, soulevant des torrents de poussière qui le rendaient presque aveugle. Isra se dirigea à tâtons vers l'abri le plus proche, priant pour ne pas s'égarer comme les juvéniles des troupeaux pris dans les tempêtes de sable. Il avait perdu les traces des rhinocéros et ne sut bientôt plus se repérer dans le chaos. Lever la tête ne servait à rien. La plaine désertique n'offrait nul endroit où se réfugier, que des arbustes fantômes et des épineux qui accrochaient ses vêtements et éraflaient sa peau. Isra aurait pu s'asseoir au pied de l'un d'eux, attendre que le vent d'est se calme en se calfeutrant sous son tee-shirt, mais l'instinct lui disait de continuer à marcher en quête d'un refuge plus sûr. Bousculé par les bourrasques, il progressa sous le ciel chargé d'aiguillons qui giflaient son visage. Les odeurs aussi avaient disparu. Une forme se dessina alors dans la tourmente ; une ombre à plusieurs têtes épousant le relief… Un lodge ?
Isra chercha la salive qu'il n'avait plus – que faisait-il si au sud ? Le vent l'avait déporté vers les seules habitations de la réserve, à quelques centaines de mètres, figées comme lui dans le brouillard aveuglant de l'aube. Un frisson coula alors le long de son échine, presque surréel : le danger était là, tout près, et lui ne voyait rien d'autre que cette tour sombre dressée dans le tourbillon de poussière. Il songea aux hommes-lions, aux métamorphoses fabuleuses, et ses poils se hérissèrent.
Les esprits lui jouaient des tours, le punissaient pour une faute qu'il n'avait pas commise ou le mettaient en alerte. Le jeune pisteur tenta de se rassurer, de se dire que les Ovambos étaient des gens bons, que personne n'avait de raisons de lui en vouloir, mais tout lui criait de prendre ses jambes à son cou. Car un souffle mortel fondait sur lui.
Isra hurla de terreur, trop tard.

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