Les preuves de mon innocence
L'arrivée de Liz Truss au 10, Downing Street. Des ultraconservateurs réunis dans un vieux manoir. Une société secrète d'étudiants en plein Cambridge. Plusieurs morts mystérieuses. Des jeunes femmes en quête de vérité. Et une vieille inspectrice bien trop gourmande... Voici quelques ingrédients du nouveau roman virtuose de Jonathan Coe, le plus brillant et charming des auteurs britanniques, qui se joue ici des codes du polar pour mieux dénoncer montée des extrêmes et désinformation.
Extrait
L’inspectrice repéra bien vite l’objet de ses soupçons parmi la foule de la gare de Paddington, malgré l’affluence de ce mardi matin et le hall qui grouillait de voyageurs. Elle regarda la silhouette furtive le traverser d’un pas pressé vers le quai no5 et monter dans un train à destination de Worcester.
Embarquant à son tour, elle trouva un siège à proximité, mais pas trop près. Un wagon la séparait de sa cible. Ainsi, elle pouvait rester à l’abri des regards tout en gardant celle-ci en ligne de mire, à condition de se pencher un peu pour l’épier à travers les portes vitrées qui séparaient les voitures.
Le train se mit en branle, pile à l’heure. Comme il prenait de la vitesse en traversant les banlieues de l’ouest de Londres, une annonce retentit dans les haut-parleurs :
Si vous remarquez quoi que ce soit d’inhabituel, signalez-le au personnel de bord ou envoyez un SMS à la police britannique des transports au 61016.
On gère.
C’est vu. C’est dit. C’est réglé.
Cette annonce avait quelque chose de profondément agaçant, même si l’inspectrice aurait été incapable de dire pourquoi exactement. Elle savait que la personne qu’elle avait prise en filature allait descendre à la gare de Moreton-in-Marsh – à environ une heure trente de trajet – et elle comptait profiter de ce temps pour mettre de l’ordre dans ses notes sur l’affaire. Mais toutes les cinq minutes, ce message exaspérant revenait interrompre le fil de ses pensées.
Si vous remarquez quoi que ce soit d’inhabituel, signalez-le au personnel de bord ou envoyez un SMS à la police britannique des transports au 61016.
On gère.
C’est vu. C’est dit. C’est réglé.
C’était ce « On gère », qui lui tapait vraiment sur les nerfs, décida-t-elle. Le ton faussement popu. Qui disait ça, franchement ? Pour diffuser un message inclusif et non élitiste, celui qui avait composé cette annonce était-il vraiment obligé de s’exprimer comme dans un mauvais film de gangsters ?
Elle s’efforça de ne plus y penser. Elle essaya de se concentrer sur l’affaire et de mettre le doigt sur l’unique élément – quel qu’il puisse être – qui ne collait toujours pas. Elle était convaincue à quatre-vingt-dix-neuf pour cent que sa proie était coupable. Mais elle ne serait pas complètement à l’aise tant qu’elle n’aurait pas levé ce un pour cent de doute.
Si vous remarquez quoi que ce soit d’inhabituel, signalez-le au personnel de bord ou envoyez un SMS à la police britannique des transports au 61016.
On gère.
C’est vu. C’est dit. C’est réglé.
Les gares défilaient. Reading. Oxford. Hanborough. Charlbury. Kingham. Et c’est à ce moment-là, alors qu’ils n’étaient plus qu’à cinq minutes de leur destination, que les nuages se dissipèrent d’un coup et que l’inspectrice comprit qu’elle avait trouvé ce qu’elle cherchait. Elle s’empara de son téléphone et, en deux ou trois clics et quelques secondes de navigation, elle arriva sur une page qui confirma ses soupçons. Les confirma sans conteste. Le un pour cent de doute avait disparu. Le moment était venu d’oublier la prudence et d’agir avec résolution.
L’inspectrice aux cheveux blancs et tout de noir vêtue quitta sa place et avança vers le wagon suivant. Son corps oscillait avec le mouvement du train. Bientôt elle se dressait devant sa cible, courbée sur son smartphone. Ce dernier affichait un reportage en direct du perron du 10, Downing Street. Quand l’ombre de l’inspectrice vint barrer l’écran, deux yeux méfiants et interrogateurs se levèrent lentement à la rencontre des siens, et elle vit s’y allumer une lueur de reconnaissance. Elle prononça son nom complet et dit : « Je vous arrête pour le meurtre de… », avant d’être interrompue une fois de plus.
Si vous remarquez quoi que ce soit d’inhabituel, signalez-le au personnel de bord ou envoyez un SMS à la police britannique des transports au 61016.
On gère.
C’est vu. C’est dit. C’est réglé.
reportage en direct du perron du 10, Downing Street. Quand l’ombre de l’inspectrice vint barrer l’écran, deux yeux méfiants et interrogateurs se levèrent lentement à la rencontre des siens, et elle vit s’y allumer une lueur de reconnaissance. Elle prononça son nom complet et dit : « Je vous arrête pour le meurtre de… », avant d’être interrompue une fois de plus.
Si vous remarquez quoi que ce soit d’inhabituel, signalez-le au personnel de bord ou envoyez un SMS à la police britannique des transports au 61016.
On gère.
C’est vu. C’est dit. C’est réglé.
