Au ras du sol

Journal d'un écrivain en temps de guerre
Auteur : Dror Mishani
Editeur : Gallimard

Le matin du 7 octobre 2023, à Toulouse, Dror Mishani découvre le message de sa femme : «Bonjour, ici, c'est un sacré bordel.» Il envisage tout, sauf cette attaque du Hamas... Dans l'avion qui le ramène à Tel-Aviv, il commence à rédiger un article : «Peut-être faut-il reconnaître la puissance du coup porté et la profondeur de notre douleur, reconnaître la défaite, ne pas essayer de l'escamoter sous ce qui aura l'air, à court terme, d'une victoire, mais qui ne sera qu'un engrenage de souffrances.» Ces lignes sont au coeur d'un journal intime qui décrit, pendant six mois, la vie quotidienne en temps de guerre et expose les sentiments complexes d'un père de famille israélien marié à une Polonaise catholique ; un intellectuel pacifiste passant, aux yeux de certains proches, pour un traître ; un romancier écrasé par la politique qui craint de ne plus jamais pouvoir écrire et qui, pour ne pas sombrer, «cherche refuge dans la lecture des catastrophes des autres» - Natalia Ginzburg, Italo Calvino, Stefan Zweig, Emmanuel Carrère...

Traduction : Laurence Sendrowicz
19,00 €
Parution : Mars 2025
176 pages
ISBN : 978-2-0731-0510-3
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Extrait

Samedi. 6 heures du matin.

J’ouvre l’œil dans un hôtel à Toulouse et je trouve un message de Marta : « Bonjour, ici, c’est un sacré bordel. » À ce moment-là, avant notre première conversation téléphonique, je suis encore persuadé qu’il s’est passé quelque chose à la maison et que ça ne concerne que nous : la machine à laver le linge nous aurait lâchés une fois de plus et aurait inondé tout l’appartement, ou alors un des enfants serait malade… Quand je l’appelle, elle me dit qu’ils ont été réveillés par une alerte et sont enfermés dans notre chambre forte. Que de nombreuses roquettes sont tirées depuis Gaza.
Il fait encore nuit à Toulouse. Je me lève lentement, me brosse les dents. Ne renonce pas à faire mon footing matinal au bord de la Garonne avant d’entamer la longue journée de rencontres, organisée au festival de littérature policière pour lequel je suis venu. Des roquettes lancées depuis Gaza, ça arrive de temps en temps, tous les quelques mois, et Marta, ma femme, bien que n’étant pas israélienne, a l’habitude de se précipiter dans la chambre forte avec les enfants. De plus, le Dôme de fer défend Tel-Aviv, et les roquettes sont en général interceptées en vol.
Ce n’est que lorsque j’allume mon ordinateur et que je me connecte aux sites d’information israéliens que je comprends : cette fois, c’est différent. Une seule vidéo tourne en boucle parce que, pour l’instant, aucun média public n’a de renseignements sur ce qui est en train de se passer dans le sud du pays : on voit un pick-up blanc sur lequel se tiennent des hommes du Hamas vêtus d’uniformes qui ressemblent à ceux de Tsahal. Le véhicule s’arrête au cœur de la ville de Sdérot, devant un commissariat, des hommes armés en descendent et tirent dans toutes les directions sans que personne ne riposte. Une voiture arrive là par hasard, s’arrête à leur hauteur. Un des assaillants s’approche et abat le conducteur assis à l’intérieur.
Ensuite, d’autres vidéos commencent à circuler. Certaines filmées par des Israéliens du haut de leur terrasse ou à travers les fentes de leurs volets, quelques-unes par les terroristes eux-mêmes. On y voit de nouveau des hommes armés en uniforme, campés sur des pick-up blancs ou sur des motos, à pied, qui forcent la barrière fortifiée séparant la bande de Gaza d’Israël, et pénètrent dans le pays sans la moindre entrave. Ils portent des fusils, des lance-grenades, des ceintures de munitions et se promènent dans les rues de localités israéliennes en tirant sans discernement.
Les reporters et les présentateurs des infos ne comprennent pas. Des centaines de roquettes continuent à pleuvoir sur le pays. Où est l’armée ? Selon plusieurs rumeurs, des terroristes se seraient introduits dans des kibboutz et auraient aussi pris le contrôle de bases militaires. Les habitants du sud du pays téléphonent aux chaînes de télévision et on les entend en direct raconter en murmurant qu’ils sont enfermés dans leur chambre forte, qu’ils entendent des tirs et des voix en arabe derrière leur fenêtre verrouillée.

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