Une fille de rêve

Auteur : Eric Laurrent
Editeur : Flammarion

Qui se souvient de Nicky Soxy ? De cette éphémère starlette des années 1980, peut-être certains conservent-ils encore quelques lointaines images, principalement déshabillées. Pour beaucoup en revanche, son nom même n’évoquera rien. Il était temps de la tirer de l’oubli.
Une fille de rêve raconte les splendeurs et les misères de la très belle Nicole Sauxilange : bien que dépourvue de talent particulier, elle va connaître la célébrité grâce à ses apparitions dans des publicités ou sur des plateaux de divertissement télévisés, préfigurant ainsi le destin de ces gloires médiatiques autant que passagères qui prospèrent aujourd’hui.
Éric Laurrent met en scène Nicky en digne héritière de Nana et magnifie, par son style délicieusement raffiné, cette histoire de starlette ordinaire en conte de fées tragique.

18,00 €
Parution : Août 2020
256 pages
ISBN : 978-2-0802-0607-7
Fiche consultée 96 fois

Extrait

Au siège de Dreamgirls, le rite était immuable : le soir du bouclage, Edgar-Aimé Chambon de Rachepel divulguait devant toute la rédaction réunie la couverture du nouveau numéro, qu’il avait fait agrandir et accrocher au mur, dissimulée sous un voile noir sur le cordon duquel, ayant réclamé le silence, puis récité la formule consacrée : « Au nom de la paire, au nom du vit», il tirait d’un coup sec. Un tonitruant « Amen ! » s’élevait alors, aussitôt suivi d’une brève salve d’applaudissements. Le calme revenait ensuite quelques instants, durant lesquels l’assistance examinait l’affiche avec des hochements de tête plus ou moins approbateurs.
Ce vendredi 24 septembre 1982, ce fut d’emblée la jeunesse du modèle qui frappa les présents. Malgré les efforts de la maquilleuse pour la vieillir quelque peu, on lui donnait à peine seize ans en effet. La juvénilité de ses traits contrastait toutefois avec la maturité de ses formes, comme si son corps et son visage se fussent développés indépendamment l’un de l’autre, chacun selon une temporalité distincte, tant et si bien qu’on n’aurait su en définitive lui accorder un âge précis. Cette créature étrange, mi-femme, mi-enfant, était photographiée de face, la tête tournée de profil et légèrement penchée, le regard baissé, le visage en partie occulté par les longues flexuosités de sa chevelure décoiffée, tout juste ramenée en arrière par une main dont quelques cannelures plus sombres et plus régulières, filant du front jusque derrière l’oreille, témoignaient du récent passage. La revêtaient un chemisier à lavallière gris-vert, à demi transparent, brodé de motifs floraux, ouvert sur ses seins, dont sa posture cambrée accusait le bombé, une paire de bas en nylon de couleur chair, roulés jusqu’à mi-cuisse, et un string de tulle diaphane, plissé comme la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques, et dont, avec un geste délicat, elle pinçait le lien froncé pour le remonter sur sa hanche. Le lit sur lequel elle se dressait, agenouillée, était défait, comme au sortir d’un somme ou à l’issue d’un coït. Mêlés, drap, couverture et courtepointe formaient sous elle une grosse masse bouffante et froissée, aux tons blancs et crémeux, dans laquelle s’enfonçaient ses genoux et se perdait un de ses pieds. Baignant dans une lumière de crépuscule provenant de la gauche de l’image et frappant tout particulièrement sa chevelure blonde, avec un éclat éblouissant, plus argenté que doré, son buste s’enlevait sur le fond brun suiffeux d’une vieille tenture à la toile grossière, usée jusqu’à la trame. En guise de légende, trois mots étaient inscrits au bas de la page, composés en lettres majuscules jaune vif : « Nicky Soxy : volcanique ! »
Rachepel (puisque tel était son diminutif) tira ensuite de la poche droite de son blazer une feuille de papier, pliée en quatre, qui faseyait légèrement entre ses doigts trémulants tandis qu’il l’ouvrait. S’étant raclé la gorge, il entreprit d’en lire le contenu, d’une voix que l’âge autant que l’appréhension faisaient chevroter : « Contre l’avis des géologues, qui soutiennent que les volcans de la chaîne des Puys sont à jamais éteints, la Clermontoise Nicky Soxy nous prouve qu’il est en Auvergne des éminences volcaniques toujours en activité. Celles-ci se prêtent aisément à l’ascension, à condition d’être dûment équipé. De leurs sommets, on peut alors jouir d’un panorama de toute beauté. Mais gare aux éruptions inopinées ! »

Informations sur le livre