Tariq Ramadan

Histoire d'une imposture
Auteur : Ian Hamel
Editeur : Flammarion

Durant un quart de siècle, l’icône Tariq Ramadan ne serait pas montée si haut (avant de dégringoler si bas) s’il n’avait bénéficié de l’appui d’autant d’« idiots utiles ». Qu’il s’agisse de dignitaires catholiques, de responsables de la Ligue de l’enseignement et de la Ligue des droits de l’homme, de militants socialistes, trotskistes et écologistes, de chercheurs, d’intellectuels, de journalistes ou d’animateurs de télévision.
Au XXe siècle, les « idiots utiles » – pour reprendre l’expression chère à Lénine – fermaient les yeux sur le goulag, les famines et les purges sanglantes. Au XXIe siècle, les nouveaux « idiots utiles » feignent d’ignorer la conception réactionnaire de l’islam promue par la Confrérie des frères musulmans, créée en Égypte en 1928 par Hassan al-Banna, le grand-père de Tariq Ramadan et enracinée en Europe à partir de 1958 par son gendre, Saïd Ramadan, le père de Tariq Ramadan.

22,00 €
Parution : Janvier 2020
128 pages
ISBN : 978-2-0814-4614-4
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Extrait

Avant-propos
Après l'attaque à la Préfecture de police de Paris, en octobre dernier, Tariq Ramadan s'est indigné sur les réseaux sociaux que l'on ait « commencé à salir la mémoire » de Mickaël Harpon, juste coupable d'avoir poignardé à mort quatre policiers. Pour le prédicateur, cet informaticien, loin de s'être radicalisé, ne serait en fait qu'un pauvre homme « qui a perdu la raison ». Bien au-delà de ce message nauséeux, j'ai surtout pensé à tous ces « grands esprits » occidentaux, en particulier français, qui ont porté aux nues Tariq Ramadan pendant un quart de siècle. Et aujourd'hui se taisent. Dignitaires catholiques, universitaires, intellectuels, militants de gauche, socialistes, trotskistes et écologistes, laïcs de la Ligue de l'enseignement et de la Ligue des droits de l'homme, journalistes, animateurs de télévision se bousculaient pour lui tresser des couronnes. Time Magazine le classait parmi l'un des sept innovateurs religieux du XXIe siècle. Malgré la faiblesse de son bagage universitaire, Oxford lui a offert une chaire d'études islamiques contemporaines. Benoît XVI l'a accueilli au Vatican.
Qu'importe si Tariq Ramadan n'a jamais contesté l'héritage doctrinal de son grand-père, Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans en Égypte, et de son père Saïd Ramadan, venu implanter la confrérie en Europe. Oubliée, sa proximité avec le sulfureux théologien Youssef al-Qaradhawi, promoteur des attentats-suicides en Israël et admirateur d'Adolf Hitler. Négligés, ses liens financiers comme idéologiques avec la dictature qatarie, si empressée envers les djihadistes d'Afghanistan, de Syrie, de Somalie.

Pour ces « grands esprits », et ses compagnons de route, comme Jean Ziegler, sociologue et ancien député socialiste suisse, François Burgat, ancien directeur de recherches au CNRS, ou Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, et fondateur du journal en ligne Orient XXI, prétendre aujourd'hui qu'ils ne savaient pas est difficile. Déjà en 1994, dans le quotidien genevois Le Courrier, Tariq Ramadan expliquait comment un mari devait battre sa femme. La même année, dans son premier livre, Les Musulmans dans la laïcité, il affirmait que « les cours de biologie peuvent contenir des enseignements qui ne sont pas en accord avec les principes de l'islam. Il en est d'ailleurs de même des cours d'histoire ou de philosophie. » Plus tard, en 1999, dans l'ouvrage Être musulman européen, Tariq Ramadan se réfère à son grand-père Hassan al-Banna et à Sayyid Qutb, l'un des principaux inspirateurs d'al-Qaida et de Daech. Erreurs de jeunesse ? En 2003, confronté à Nicolas Sarkozy, Tariq Ramadan proposait un « moratoire » sur la lapidation. Le 22 mars 2012, sur son site, il osait décrire Mohamed Merah, auteur d'horribles crimes à Toulouse et à Montauban, « comme un grand adolescent, un enfant désœuvré, perdu, dont le cœur est, de l'avis de tous, affectueux ». En 2017, loin de dénoncer l'excision, le prédicateur rappelait qu'elle faisait « partie de nos traditions » et appelait à une discussion interne à « la communauté musulmane ».
Pour avoir désapprouvé l'invitation faite à Tariq Ramadan par la mission d'information parlementaire sur le port du voile intégral en 2009, Jean Glavany, ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche, a subi pendant des mois un « cyber-harcèlement », les menaces haineuses alternant avec les insultes les plus abjectes. Si les réseaux qui soutiennent Tariq Ramadan ont pu s'en prendre impunément à un ancien membre du gouvernement français, il est facile d'imaginer le traitement réservé aux journalistes, aux chercheurs, comme aux intellectuels musulmans qui tentent depuis des années de dénoncer cet imposteur. Sans omettre le sort réservé aux femmes qui ont eu le courage de porter plainte contre Tariq Ramadan pour viol. À aucun moment, ces « grands esprits » n'ont pris la peine de s'indigner des méthodes musclées utilisées par Tariq Ramadan pour tenter de faire taire ses contradicteurs. Un chapitre ne suffirait pas pour énumérer les noms d'oiseaux que je reçois depuis une douzaine d'années. Les trolls ne manqueront d'ailleurs pas de se démultiplier avec la sortie de cet ouvrage.

Alors comment expliquer ce soutien aveugle? Tariq Ramadan serait-il pour tous ses aficionados occidentaux le grand réformateur musulman du XXIe siècle ? Carrément un nouveau prophète ? Pourtant, Gilles Kepel, le spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain, ne s'est jamais privé de répéter que pour lui, ce prédicateur n'était ni un chercheur ni un universitaire. Et de se gausser du faible niveau d'arabe de ce prétendu islamologue. Quant au sociologue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, il constate que le petit-fils d'Hassan al-Banna « a joué à fond sur tous les registres – islamologue, théologien, philosophe, universitaire, éditorialiste, grand frère, prédicateur, guide de conscience, leader moral – alors qu'il n'était rien de tout cela ». En matière théologique son apport est inexistant. Tariq Ramadan n'a jamais été un penseur, ni un intellectuel.
Le Belge Michaël Privot, spécialiste de l'histoire comparée des religions, coauteur de Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ?, propose un test très simple pour dégonfler cette baudruche auprès de ses supporters. Il suffit de leur demander de citer une seule des « innovations » proposées par Tariq Ramadan. Ils seront bien incapables de répondre. Rien de plus normal : Tariq Ramadan s'est longtemps présenté comme « salafi », en référence aux salafs, les compagnons du Prophète et les « pieux musulmans » des trois premières générations de l'islam. Or, par rapport au Coran et à la sunna (les propos tenus par le Prophète et les actes qu'il a pu accomplir), pour un « salafi », la marge interprétative des textes est plus que réduite, et n'autorise guère d'évolution.
L'ancien professeur de français d'un collège de Genève est bien l'auteur d'une trentaine d'ouvrages qui se veulent fort érudits. Je ne résiste donc pas au plaisir de citer quelques lignes de l'introduction d'Islam. La réforme radicale : « Il faut opérer un déplacement du centre de gravité de l'autorité dans l'univers de référence islamique en sériant plus nettement les compétences et les rôles respectifs des savants de différents domaines. » Et quelques lignes plus bas, Tariq Ramadan propose « un ensemble de finalités éthiques plus élaboré et une catégorisation (horizontale et verticale) originale des objectifs supérieurs». Ne pas s'émerveiller devant de tels écrits lumineux, c'était s'attirer les foudres des antiracistes et se voir traité d'« islamophobe ». Et même peut-être de « sioniste notoire ».
Bien avant que ne tombe la première plainte pour viol, Majda Bernoussi, une Belge d'origine marocaine, m'avait révélé en 2010 sa liaison chaotique avec Tariq Ramadan. Dans un manuscrit, elle racontait la vie dissolue du prédicateur, ses aventures innombrables, sa sexualité très particulière. Pour cet homme qui ne priait jamais en privé, l'islam n'était en fait qu'un business fort lucratif. Mais aucun média n'a souhaité interviewer Majda Bernoussi. Aucun éditeur parisien n'a voulu jeter un simple coup d'œil sur son manuscrit. Pourtant, au même moment sur Internet, des dizaines d'autres femmes dénonçaient également le petit-fils d'Hassan al-Banna. Mais comme le déplore Bernard Rougier, directeur du Centre des études arabes et orientales, sous couvert du respect des différences et de l'affirmation de l'identité culturelle, on préférait s'agenouiller devant les islamistes.
Finalement, la première plainte pour viol n'a été déposée que sept ans plus tard, en octobre 2017. Mis en examen et incarcéré en février 2018, Tariq Ramadan a passé neuf mois en prison, avant d'être libéré en novembre 2018. Il n'a pas été jugé, il bénéficie de la présomption d'innocence, et conteste les accusations portées contre lui. Je retiens l'éditorial de Riss, le directeur de Charlie Hebdo, quelques jours après l'arrestation de Tariq Ramadan : « La dénonciation de son idéologie a moins pesé que celle de sa vie intime. La malfaisance dont il a usé contre les femmes a été dénoncée alors que celle qu'il exerçait sur des milliers d'esprits semble intouchable. »
«Face à l'islamisme, sommes-nous devenus lâches?», titrait en octobre 2019 un hebdomadaire parisien. Lénine avait inventé une expression pour qualifier les Occidentaux qui se mettaient eux-mêmes au service de la propagande communiste. Il parlait d'« idiots utiles ». Par naïveté, par cupidité ou au nom d'intérêts « supérieurs », des milliers d'intellectuels ont fermé les yeux sur le goulag en Union soviétique, sur la famine provoquée par le « Grand Bond en avant » de Mao, sur le désastre économique à Cuba sous l'égide des frères Castro. Dans son Histoire mondiale du communisme, Thierry Wolton consacre plus de 1 100 pages aux « complices » des crimes commis au nom du marxisme-léninisme. Plus modestement, je m'interroge sur cet autre aveuglement, celui qui consiste à nier l'islamisation rampante de l'Occident, entreprise, même pas en catimini, par les Frères musulmans, représentés en France par Musulmans de France, l'exUnion des organisations islamiques de France (UOIF). Leur stratégie visant l'instauration d'un califat mondial n'a pas changé depuis la création de la confrérie en 1928 sur les bords du canal de Suez par Hassan al-Banna. La tentative d'établissement d'un « pouvoir islamique sur toute la terre » s'est concrétisée à la fin des années 1950 avec l'arrivée à Genève de Saïd Ramadan, gendre d'Hassan al-Banna, et père de Tariq Ramadan. Le programme de la confrérie, baptisé «Le Projet», un document de 14 pages, a été découvert juste après le 11 septembre 2001 dans la villa de Youssef Nada, à Campione, une enclave italienne dans le canton suisse du Tessin. Dignitaire de la confrérie, rival de Saïd Ramadan, Youssef Nada était le fondateur de la banque Al-Taqwa, soupçonnée par la justice américaine de financer al-Qaida.
Est-ce vraiment étonnant si certains marxistes-léninistes sont passés, sans états d'âme, après les attentats de 2001, de Karl Marx à Hassan al-Banna et à Sayyid Qutb ? À défaut du « Grand Soir », ces orphelins du communisme se sont rabattus sur la « théologie musulmane de la libération ». Qui veut que seul l'islam soit capable de venir à bout du capitalisme, du néocolonialisme, de l'impérialisme américain et d'Israël. Le plus invraisemblable, c'est que sans ses sordides histoires de culottes, Tariq Ramadan était en passe de devenir le nouveau gourou (ou prophète) de tous ces « décoloniaux ». Vous avez dit « idiots utiles » ?

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