La maison au citronnier

Auteur : Sandy Tolan
Editeur : Flammarion

La maison dont il est question dans ce livre existe vraiment. Elle se trouve dans la ville de Ramla, entre Jérusalem et Tel-Aviv.
C’est la maison où a grandi le Palestinien Bachir Khairi. En 1967, au moment où s’ouvre ce récit, Bachir, âgé de vingt-cinq ans, retourne voir la maison de son enfance : lui et les siens l’ont quittée précipitamment en 1948, lors de la première guerre israélo-arabe. Il y est accueilli par Dalia Eshkenazi, une jeune Israélienne d’origine bulgare dont la famille s’est installée, dix-neuf ans auparavant, dans la demeure que les Khairi venaient d’abandonner.
L’histoire de ces deux familles, unies dans leur attachement pour une même terre malgré tout ce qui les sépare, offre une fresque poignante des destins intriqués d’Israël et de la Palestine au
XXe siècle. Dans l’amitié que nouent Bachir et Dalia sur le seuil de leur maison commune, au cœur du conflit le plus âpre du monde, se dessine l’espoir d’une réconciliation.

Traduction : Christophe Magny
21,90 €
Parution : Juillet 2020
432 pages
ISBN : 978-2-0815-1956-5
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Extrait

Le jeune arable s’approcha du miroir, dans les toilettes de la gare routière de Jérusalem-Ouest, en Israël. Seul devant une rangée de lavabos de porcelaine, Bachir Khairi se pencha en avant et observa son reflet. Il tourna légèrement la tête de gauche à droite, puis de droite à gauche. Il lissa ses cheveux, ajusta sa cravate, pinça sa joue rasée de frais. Il voulait s’assurer que ce qu’il voyait était bien réel.
Pendant près de deux décennies, depuis qu’il avait six ans, Bachir s’était préparé à ce voyage. C’était le souffle, l’argent, le pain de sa famille, et de presque toutes celles qu’il connaissait. On ne parlait que de ça, constamment : le retour. De quel autre sujet un exilé pourrait-il faire la matière de ses rêves ?
Bachir regardait son reflet. Tu es prêt pour ce voyage ? se demanda-t-il. Est-ce que tu le mérites ? Tel était sans doute son destin : retourner dans cet endroit dont il avait surtout entendu parler, qu’il se rappelait à peine. Il avait l’impression d’être retenu par un sortilège caché, comme s’il s’apprêtait à rencontrer une maîtresse secrète, longtemps perdue de vue. Il voulait être beau.
« Bachir, cria Yasser, ramenant son jeune cousin au présent de la gare routière. Yallah ! Dépêche-toi ! Le car va partir ! »
Les deux hommes traversèrent la vaste salle d’attente du terminal de Jérusalem-Ouest, où les attendait leur cousin Ghiath, bouillant d’impatience.

Il était presque midi en cette chaude journée de juillet 1967. Des étrangers se pressaient autour de Bachir, Yasser et Ghiath : femmes israéliennes en chemisiers blancs et longues jupes sombres ; hommes arborant chapeaux à large bord et barbes blanches ; garçons à papillotes. Les cousins hâtèrent le pas pour rejoindre leur car.
Ils étaient arrivés le matin même de Ramallah, une ville palestinienne située sur une colline, à une demi-heure de route vers le nord, où ils étaient réfugiés. Avant d’embarquer, les cousins avaient demandé à leurs amis et à leurs voisins des conseils qui leur permettraient de s’orienter dans ce monde inconnu appelé Israël : quel car devons-nous prendre ? Combien coûte un billet ? Comment l’achetons-nous ? Quelqu’un va-t-il contrôler nos papiers une fois que nous serons dans le car ? Que feront-ils s’ils se rendent compte que nous sommes palestiniens ? Bachir et ses cousins avaient quitté Ramallah en fin de matinée. Ils avaient pris la direction du sud dans un taxi collectif, vers Jérusalem-Est, et avaient atteint l’enceinte de la Vieille Ville, première étape de leur voyage. Quelques semaines plus tôt, ces murailles avaient été le théâtre de violents combats qui s’étaient conclus par une défaite cuisante des Arabes, et l’occupation de Jérusalem-Est par Israël. En sortant du taxi, les cousins virent les soldats stationnés à la porte de Damas, l’entrée nord de la Vieille Ville.
Ils se dirigèrent alors vers l’ouest, s’éloignant des temples antiques et traversant l’ancienne frontière qui divisait deux nations. Quelques semaines plus tôt, cette frontière séparait JérusalemOuest et Israël de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, arabes. Depuis la défaite des Arabes pendant la guerre des Six-Jours, les forces israéliennes occupaient la Cisjordanie, la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan, et elles s’étaient redéployées afin de défendre ces nouvelles frontières. Il avait donc été facile pour Bachir et ses cousins de traverser l’ancien no man’s land, et de pénétrer sur un territoire à la fois ancien et nouveau. Ils avaient parcouru des kilomètres sous la chaleur, empruntant des rues populeuses et passant devant des maisons de pierre qui semblaient étrangement familières. Les rues étroites avaient finalement débouché sur des avenues modernes, animées – ils avaient alors découvert la gare routière de Jérusalem-Ouest.
Bachir et ses cousins traversèrent à la hâte le terminal au sol de béton. Ils dépassèrent les guichets où des préposés tendaient des billets à travers des barreaux métalliques, et le kiosque où l’on vendait des bonbons, des chewing-gums et des journaux écrits dans une langue qui leur était inconnue. Sur les quais, tout au bout du terminal, se trouvaient des cars dont les destinations étaient des terres qu’ils ne connaissaient que par ouï-dire : forêts du nord, déserts méridionaux, plaine côtière. Les trois hommes avaient en main leur billet pour al-Ramla. Ils se précipitèrent vers le quai 10 où leur car, décoré de vagues bleu ciel et blanc, était prêt à les emmener à la maison.

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