Méliès : La magie du cinéma

Auteur : Laurent Mannoni
Editeur : Flammarion

« On descend tous de Méliès ! »
Martin Scorsese

384 pages et 500 illustrations sur la vie et l'œuvre de Georges Méliès de la naissance du cinéma à la postéritédu maître des films à « trucs ».

Avec une préface inédite de Martin Scorsese et des témoignages et citations de: David Wark Griffith, Sergueï Eisenstein, Charles Pathé, Luis Buñuel, Jean Renoir, René Clair, Marcel L'Herbier, Jean Epstein, Man Ray, Jean Cocteau, Henri Langlois. Georges Franju, Jean-Luc Godard, Norman McLaren, Edgar Morin, George Lucas, Guillermo del Toro, Alfonso Cuarôn, Christopher Nolan, Abel & Gordon, Jean-Pierre Jeunet, Olivier Assayas, Tim Burton, Rob Legato, Luc Besson et Bruno Podalydès.

45,00 €
Parution : Novembre 2020
400 pages
ISBN : 978-2-0815-2147-6
Fiche consultée 70 fois

Extrait

Préface Martin Scorsese

La première fois que j’ai vu un film de Georges Méliès, c’était au début des années 1960, lors d’une projection de films d’avant-garde organisée par le New American Cinema dans une boutique de l’East Village, sur la 2e Avenue, entre les 7 e et 8 e Rues. C’était avant la création de l’Anthology Film Archives et juste après la fermeture du Cinema 16 d’Amos Vogel. Je me souviens qu’il y avait, en vitrine, une petite pancarte écrite à la main et, quand on entrait, un projecteur, un petit écran et quelques chaises. L’un de mes courts-métrages d’étudiant était peut-être projeté, mais je n’en suis pas sûr. Je me souviens que nous avons été particulièrement frappés par les films de Stan VanDerBeek et Ed Emshwiller. Mais la partie la plus surprenante du programme résidait dans le film de Méliès – je ne me rappelle pas lequel. C’était comme si le temps ne s’était pas écoulé ; les effets qu’il avait créés à l’aube du cinéma fonctionnaient encore et l’avant-garde rendait hommage à ces prémices. À cette époque, le muet constituait une curiosité pour la plupart d’entre nous, les images étaient en général de mauvaise qualité et les films n’étaient pas montrés à la bonne cadence. Cette soirée-là ne faisait pas exception, mais ça n’avait pas d’importance. L’essentiel était que Méliès était tout aussi avant-gardiste, à la pointe et qu’il appartenait à une toute nouvelle école de cinéma – il n’y avait pas de différence temporelle, il était leur contemporain. C’était libérateur et je ne l’ai jamais oublié.
J’aimais les illustrations du livre de Brian Selznick, L’Invention de Hugo Cabret, que j’ai adapté. J’étais épris du personnage du garçon, dont l’isolement a touché une corde sensible chez moi en faisant notamment remonter des souvenirs d’enfance. Je voulais aussi réaliser un film dont ma fille et ses ami(e)s pourraient profiter : l’arrivée de Hugo a donc été une belle coïncidence. Mais plus que tout m’importait l’approche que Brian avait de la nature mystique de la machine.
Méliès nous renvoie toujours à l’obsession et à la compulsion de l’image en mouvement : ses mécanismes, son mysticisme... Lorsque j’étais enfant – je devais avoir quatre ou cinq ans –, ma mère nous a emmenés à Brooklyn chez un membre de la famille qui possédait un projecteur ; je ne me souviens plus s’il s’agissait d’un 8 ou 16 mm. Il a installé son écran et nous a mis des dessins animés en noir et blanc de Félix le Chat pour que nous, enfants, restions calmes. J’avais déjà vu des films au cinéma à cet âge, mais je ne savais pas comment cela fonctionnait. Je me rappelle avoir regardé au travers du couloir de projection, vu les images défiler et bouger, et je me rappelle avoir été complètement subjugué. C’est là que tout a commencé entre moi et le cinéma. La façon dont on s’exprime artistiquement
avec ces images en mouvement est un tout autre sujet. On évolue, ou pas. Mais la fascination pour la nature mystique du couloir du film, avec sa lumière constante et son mouvement constant – tout y était.
J’imagine que j’aurais aimé travailler à l’époque de Méliès. J’ai beaucoup aimé me plonger dans cet univers. C’était comme une machine à voyager dans le temps qui nous renvoyait à l’époque où Méliès réalisait ses films. Et Ben Kingsley était Méliès. Ma fille était avec nous lors du tournage à Londres et quand elle a vu la jaquette d’un coffret de DVD des films de Méliès, elle a dit : « Oh, c’est Ben ! » Et lorsque l’arrière-arrière-petite-fille de Méliès a visité le plateau, Ben est entré sur le plateau du hall de la Sorbonne et... son arrière-grand-père était là ! Elle s’est avancée vers lui et l’a pris dans ses bras. On avait l’impression d’y être ; la reconstitution de l’atelier où il travaillait et la recréation des effets qu’il a inventés étaient une expérience magique. Pour Hugo, reconstituer la gare Montparnasse, combiner décors en dur et en numérique, ce n’était pas seulement me rapprocher de l’œuvre, mais de l’esprit aussi, de l’énergie créatrice et de l’obsession qui ont créé l’œuvre. C’est sûrement l’imagination de Méliès qui me fascine le plus. D’ailleurs, je crois qu’il aurait été heureux de travailler en numérique. C’est même sûr. Avec son esprit ? Cette volonté ? Cette créativité infinie ? Imaginez ce qu’il en aurait fait. Il aurait créé un tout autre cosmos !
La fin de Méliès ? Quand on a ce genre de passion et d’obsession, on est toujours aux bords de la destruction, comme une conséquence naturelle de cette passion – on est à la frontière, on l’effleure, on s’en écarte. On frôle toujours le désastre et la ruine. Il arrive un moment où la destruction apparaît comme une évolution naturelle. C’est toujours comme ça. Ça me fait penser à la fin du film De la bouche du cheval (The Horse’s Mouth, Ronald Neame, 1958), que j’ai toujours adoré, dans lequel le peintre incarné par Alec Guinness détruit la fresque sur laquelle il a passé tant de temps : il sait qu’elle sera détruite, donc il le fait lui-même. Quand on s’aventure aussi loin que l’ont fait Méliès, Eisenstein ou Welles, évidemment qu’on se rapproche du gouffre. Je ne parle pas des problèmes économiques car il n’est pas question d’argent. Il s’agit de vivre l’œuvre. C’est ça, Méliès.
Il recherchait « la réalisation de l’impossible ». Cette idée m’a toujours inspiré. Pour moi, c’est la nature même du cinéma : mettre une image avec une autre image, déclenchant une sensation, une sorte de troisième image fantôme dans l’esprit, dans la représentation mentale. C’est inspirant et excitant, à l’infini – y penser, se remémorer, pratiquer. Cette quête m’accompagne toujours.

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