L'Étrange cas Barbora S.

Auteur(s) : Vojtech Masek, Marek Pokorny, Marek Sindelka
Editeur : Denoël

Mai 2007, République tchèque. Le bug d’un babyphone permet à un homme d’intercepter les images d’un gamin couché sur le sol d’une maison voisine, nu et menotté. La mère de l’enfant est arrêtée, inculpée d’activités pédopornographiques. Anna, 13 ans, l’une de ses filles présumées, parvient à s’enfuir. L’enquête policière montrera qu’il s’agit en fait d’une femme de 33 ans, Barbora Škrlová, qui a subi opérations, entrainement et régime pour se transformer en fillette. Son père, ancien chef d’une troupe scoute d’extrême-droite, est-il lié à l’affaire? Les mobiles sont-ils sexuels ou sectaires? L’opinion et les médias tchèques s’enflamment pour le scandale. Quelques mois plus tard, Barbora Š. est retrouvée en Norvège sous l’identité d’Adam, un garçon de 13 ans. Rapatriée en Tchéquie, elle est inculpée de plusieurs crimes. L’affaire, jamais complètement élucidée, conduira à l’adoption de nouvelles lois sur la protection des victimes d’actes criminels.

L’incroyable scandale qui a ébranlé la République tchèque, revisité par deux des meilleurs auteurs et l’un des plus brillants dessinateurs de la scène pragoise actuelle. Un suspense haletant, une plongée à la Millenium dans les gouffres de la pathologie politico-criminelle et du voyeurisme médiatique…

Traduit du tchèque par Benoit Meunier
23,00 €
Parution : Octobre 2020
208 pages
ISBN : 978-2-2071-5972-9
Fiche consultée 39 fois

Extrait

Le 3 avril 2008, MF Dnes, le quotidien tchèque à plus fort tirage, titrait : « La police a terminé l’enquête de l’affaire de Kuřim. Le dossier fait plus de six mille pages. » Six mois plus tard, les six principaux protagonistes font l’objet d’un procès dont l’issue est particulièrement suivie dans les médias. Quatre femmes et deux hommes sont alors condamnés à des peines allant de cinq à dix ans de prison ferme pour mauvais traitements infligés à des enfants. On ne connaîtra jamais exactement le motif qui les a poussés à agir. L’affaire de Kuřim, qui compte désormais parmi les plus importantes et les plus énigmatiques de l’histoire tchèque moderne, s’achève comme elle avait débuté : dans l’obscurité.
Tout commence par hasard, un jour de mai 2007, lorsqu’un habitant de la petite ville de Kuřim, en République tchèque, capte par erreur sur la caméra de surveillance qu’il vient d’acheter pour son bébé des images de la maison voisine. Ce qu’il voit est effrayant : un jeune garçon nu et ligoté, recroquevillé sur le sol d’une cave. Il appelle aussitôt la police, qui libère trois enfants : deux garçons et leur sœur adoptive, Anna.
La mère est incarcérée et les enfants sont placés dans un centre d’hébergement dont Anna parvient à s’enfuir la nuit même. C’est là que l’affaire débute réellement.
Ce qui ressemblait d’abord à un cas sordide et néanmoins classique d’enfants maltraités connaît une série de retournements de situation des plus rocambolesques. Tandis que les recherches pour retrouver la trace d’Anna restent infructueuses, il s’avère que les personnes impliquées sont bien plus nombreuses qu’on ne l’avait supposé. Parmi elles figurent plusieurs membres d’une secte annonçant l’arrivée d’un nouveau Messie sur Terre. Des perquisitions révèlent des documents inquiétants : des actes de décès d’enfants et des rapports de suivi médical de personnes atteintes d’un cancer. Mais tout culmine avec une information capitale : Anna n’a jamais existé. Un message de l’ambassade de Tchéquie à Copenhague confirme qu’il s’agit de Barbora Škrlová, une Tchèque de trente-quatre ans diplômée de l’Académie de musique Janáček de Brno, jeune espoir de la musique classique, passionnée de mathématiques, de physique et de doctrines ésotériques, ayant décidé, pour des raisons mal connues, de mettre fin à sa vie, ou plutôt de l’échanger contre une autre.
Avec l’aide d’un groupe de gens bien organisés, elle entreprend d’effacer systématiquement toute trace de son existence, puis met en scène sa propre mort pour enfin « renaître », après une série d’opération chirurgicales et de procédures administratives complexes, sous l’identité de la jeune Anna, treize ans, et être adoptée par la mère des enfants maltraités, qui ne se doute de rien.
À ce stade, l’affaire suscite un intérêt des médias tchèques qui frôle l’hystérie. À chaque jour sa révélation retentissante. On découvre que de nombreuses personnalités publiques sont liées à la secte : des acteurs, des écrivains, des entrepreneurs. Une quantité invraisemblable de théories conspirationnistes voient le jour. Au plus fort de cette effervescence, on peut être certain, en entrant dans n’importe quel café de Tchéquie, d’entendre des consommateurs discuter des tout derniers rebondissements de l’affaire de Kuřim, notamment du rôle joué par la ténébreuse Barbora Škrlová, qui, après être passée aux aveux à Copenhague, a disparu sans laisser de trace, laissant Interpol la rechercher en vain pendant de longs mois.
C’est finalement au bout du monde qu’elle est retrouvée, dans la petite ville de Tromsø, en Norvège, au-delà du cercle polaire. La police découvre avec stupéfaction qu’elle vit là depuis plus de six mois sous l’identité d’Adam, un garçon de treize ans, et qu’elle fréquente même un collège d’Oslo. Les enseignants voient Adam comme un adolescent aussi effacé que talentueux, qui excelle en mathématiques, en langues et surtout en musique. Cependant, ils sont rapidement convaincus qu’Adam est maltraité par son père et victime d’abus sexuels. Le père est arrêté et Adam est placé dans un foyer, d’où il a tôt fait de s’enfuir...
Voilà qui commence à faire trop de rebondissements. Passé un certain point, plus grand monde n’est capable de s’y retrouver. Pourquoi cette machination ? Quelles sont les motivations de Barbora Škrlová et de son curieux père, qui a peut-être tout commandité ? Et quid de ces gens impliqués dans la création de fausses identités qui ont affirmé par la suite avoir été manipulés ? Tout cela ressemble un peu à une hallucination collective. Le peuple tchèque se plonge avec délices dans le cauchemar le plus étrange qui soit, et semble ne pas devoir s’en lasser...
À ce moment, nous avions déjà décidé d’en faire un livre, car c’était un sujet jamais vu, qui ne se représenterait peut-être jamais. Nous avions la vaste ambition de résoudre l’énigme ; nous voulions jouer les détectives, découvrir la vérité qui avait dû rester cachée quelque part. Nous nous sommes mis au travail avec entrain. Mais, comme tout le monde, nous avions oublié une chose importante : tout ceci était réel ! Et surtout, submergés par tant de mystères et de péripéties, nous avions négligé le plus important : les « vrais » enfants par qui tout avait commencé.
Soudain, nous avons eu peur de ce que nous étions en train de faire. Que cherchions-nous, au juste ? Qu’est-ce qui nous attirait tant dans cette affaire ? Nous découvrions avec une certaine honte que notre approche ne différait en rien de celle de la presse à sensation. Ce que nous désirions, au fond, c’était voir le mal au plus près, en obtenir l’image la plus nette possible... Quelle que fût l’histoire que nous allions raconter, il nous faudrait dévoiler la souffrance des principales victimes.
Nous étions prêts à tout laisser tomber quand nous avons trouvé la solution : laisser de côté les deux garçons de la cave, abandonner l’idée naïve que nous pourrions jouer les détectives et nous concentrer sur ce que cette folle histoire éveillait en nous. On parlait alors beaucoup de « normalité », de ce que c’était qu’être « normal ». Pour la plupart des gens, les acteurs de l’affaire étaient fous ; des personnes saines d’esprit ne se seraient jamais comportées ainsi. Mais qui est le plus anormal, au fond : ces gens qui torturaient des enfants dans une cave, ou les dix millions d’« honnêtes citoyens » qui suivaient avec délectation leurs actes en direct au journal télévisé ?
Le côté médiatique de l’affaire a alors commencé à nous intéresser particulièrement, notamment la façon dont les médias étaient capables de créer et d’entretenir des récits qui pouvaient devenir plus réels que la réalité. Ce voyeurisme que nous avions identifié en nous-mêmes, nous avons donc décidé de l’incarner à travers le personnage d’Andrea, l’héroïne de notre histoire.
Il nous aura fallu six ans et demi de travail pour achever notre livre. Au bout du compte, il ne s’agit pas de recherches documentaires : nous avons déplacé toute l’histoire sur le terrain de la fiction. Nous sommes cependant convaincus d’avoir réussi à résoudre au moins partiellement cette « équation à mille inconnues ».

Informations sur le livre