À trop aimer

Auteur : Alissa Wenz
Editeur : Denoël

Il n’y avait aucun doute : Tristan était violemment épris.

Elle le rencontre, et c’est un émerveillement. Tristan est un artiste génial qui transforme le rêve en réalité. À ses côtés, la vie devient une grande aire de jeux où l’on récite des poèmes en narguant les passants. Il ne ressemble à personne, mais cette différence a un prix. Le monde est trop étriqué pour lui qui ne supporte aucune règle. Ses jours et ses nuits sont ponctués d’angoisses et de terreur. Seul l’amour semble pouvoir le sauver. Alors elle l’aime éperdument, un amour qui se donne corps et âme, capable de tout absorber, les humeurs de plus en plus sombres, de plus en plus violentes.
Jusqu’à quel point? Au point de s’isoler pour ne plus entendre les insultes, au point de mentir à ses proches, au point de s’habituer à la peur? Est-ce cela, aimer quelqu’un?

Un premier roman d’une rare justesse sur l'emprise amoureuse.

17,00 €
Parution : Août 2020
240 pages
ISBN : 978-2-2071-6035-0
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Extrait

J’ai sonné à mon nom à l’interphone, et puis j’ai attendu, ça ne répondait pas.
J’ai sonné à nouveau, à mon nom. Une voix d’homme a décroché, oui, c’est qui ? J’ai dit, c’est moi, l’ancienne locataire, je pense que mon courrier est resté dans la boîte aux lettres mais Tristan a dû laisser quelques enveloppes pour moi sur son bureau, j’aimerais bien monter, si ça ne te dérange pas bien sûr.
Il a dit, bien sûr, je t’ouvre.
J’ai poussé la porte vitrée, j’ai pris l’ascenseur, troisième étage, ce trajet parcouru des milliers de fois. La porte était entrouverte, mon pouce sur la sonnette, une voix m’a dit d’entrer, j’ai poussé la porte.
Je n’avais pas revu l’appartement depuis mon départ. Il avait changé sans avoir changé. Tristan l’avait un peu réaménagé, j’avais emporté des tables, des chaises, il avait racheté des objets, des meubles. Mais je ne voyais que ce qui était resté, les histoires des choses que j’avais achetées, trouvées, aimées, installées. Jonathan s’est approché de moi, Jonathan, enchanté, j’ai dit, enchantée, merci de m’avoir ouvert, de rien.
« Je te présente Dahlia, ma copine, Dahlia ? »
Dahlia était dans la cuisine, dans ma cuisine, elle préparait un petit déjeuner avec mes plaques à induction, ces plaques juchées sur un support en bois que j’avais fabriqué avec mon père. J’avais tout acheté dans cette cuisine, et construit quelques étagères aussi. Dahlia avait l’air très gentille, il y a eu des bises, et puis Jonathan a dit :
« Alors comme ça tu as habité ici ? »
Il ne savait pas.
J’ai dit : « Oui, je vivais avec Tristan, il ne t’a pas dit ?
Nous nous sommes séparés il y a six mois, il a préféré garder l’appartement et en faire une colocation. »
Je souriais très fort, trop fort, il s’y prête bien, l’appartement, à la colocation, non ? Il est beau, il te plaît ?
J’étais trop aimable pour être crédible, Jonathan répondait mollement, oui, c’est sympa, et puis c’est une sous-loc, c’est confortable. Je regardais l’appartement, ne voyais que ce qui était à moi, tout me semblait à moi ici. Le porte-manteau, je l’avais rapporté de ma chambre d’enfant, en Bretagne. (Jonathan, Tristan ne t’a donc jamais parlé de moi, c’est bien vrai ?) Un joli portemanteau en croisillon qui se fixe au mur. Il a accompagné toutes mes années d’enfance, j’ai pensé : J’ai oublié de le prendre, celui-là, tiens, mon porte-manteau-croisillon, ce n’est pas grave. Les manteaux de Jonathan et de Dahlia lui vont bien aussi.
Jonathan continuait : « Tu as vécu longtemps ici ? Je ne savais même pas, tu sais, Tristan ne me dit rien. »

J’ai dit, oui, on a vécu quatre ans dans cet appartement, et on est restés cinq ans ensemble.
« Ah ouais quand même... »
C’est tout ce qu’il a dit. Ah ouais quand même. Je ne l’écoutais pas, je regardais l’affiche, je pensais : Cela aussi j’ai oublié de le prendre, ce cadre, il était à moi n’est-ce pas ? Le cadre était à moi. L’affiche, je ne sais pas. On l’a achetée ensemble, à Buenos Aires. On se connaissait depuis trois mois seulement, et on était partis à Buenos Aires.
Là-bas, on avait visité le quartier de La Boca, un beau quartier ensoleillé – pour moi, il le sera toujours –, avec des maisons de toutes les couleurs. Les gens dansaient le tango dans les rues, c’était chaud et vivant comme notre amour. Un artiste de rue vendait ses tableaux, et avec Tristan, on avait acheté cette affiche : un visage de femme, avec des maisons colorées dans les yeux, sur les lèvres. Un visage de maisons, et du bleu, du jaune, du rouge à perte de vue. Cet artiste nous avait fait entrer dans son atelier, on avait parlé de musique, de la France, d’Édith Piaf, de la jeunesse et de l’amour. Il nous avait dessinés tous les deux sur un bout de papier, deux dessins hâtifs et émouvants, Tristan tenait un appareil photo et moi un micro. Il nous avait dit qu’il nous voyait comme ça, le photographe et la chanteuse. Il faisait si beau ce jour-là. Je me demande ce que sont devenus ces dessins.
L’affiche est toujours là, elle, avec ses maisons dans les yeux, et je la regarde tandis que Jonathan continue, il me parle avec toute la gentillesse du monde et c’est encore plus cruel :
« Je savais vaguement que quelqu’un d’autre avait vécu ici, mais il ne m’a jamais parlé de toi. »

Notre ancienne chambre est devenue la chambre de Jonathan, celle où il invite son amie Dahlia. Je l’aperçois par la porte entrebâillée, ils ont mis leur lit à une autre place que nous, les draps sont défaits.
Il n’y a pas de courrier sur le bureau de Tristan, rien ne m’attend ici. Jonathan redescend avec moi pour m’ouvrir la boîte aux lettres dans le hall. Je dis au revoir à Dahlia, à Buenos Aires, et à l’appartement que je ne reverrai plus.

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