Epicure aux Enfers - Heresie, Atheisme et Hedonisme au Moyen Age

Auteur : Aurélien Robert
Editeur : Fayard
En deux mots...

Bien avant la Renaissance, des philosophes, des médecins et des théologiens médiévaux ont tenté de réhabiliter la figure d'Épicure et de faire revivre sa pensée. De l’hérétique au modèle de vie pour le chrétien, de la caricature d’un immoraliste athée à la promotion du plaisir, Aurélien Robert suit la longue construction des représentations de l’épicurisme, reçues et transformées au Moyen Âge. Et livre ainsi un portrait inédit de la philosophie médiévale.

Directeur de recherche au CNRS, ancien membre de l’École française de Rome, Aurélien Robert est spécialiste d’histoire de la philosophie du Moyen Âge et de la Renaissance. En 2019, il a reçu la médaille de bronze du CNRS pour l’ensemble de ses travaux.

23,00 €
Parution : Février 2021
320 pages
ISBN : 978-2-2137-1174-4
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Présentation de l'éditeur

Dans la Divine comédie de Dante, un seul philosophe se trouve au sixième cercle de l’Enfer, au milieu des hérétiques : Épicure. Comment un penseur ayant vécu au ive siècle av. J.-C. peut-il être jugé ainsi ? En proposant une archéologie des représentations de l’épicurien dans les trois grandes religions monothéistes, Aurélien Robert retrace la longue élaboration des associations entre épicurisme et hédonisme, athéisme et hérésie, et leur transformation au Moyen Âge.
Mais cette histoire en cache une autre, restée dans l’ombre d’une imposante littérature religieuse. Dès le xiie siècle apparurent des tentatives de réhabilitation du philosophe grec, près de trois siècles avant la redécouverte de Lucrèce par Poggio Bracciolini. Ces témoignages de théologiens, de médecins, de philosophes présentent Épicure comme un grand sage, voire un modèle pour les chrétiens. Dans le même temps, sa pensée du plaisir retrouvait progressivement son prestige. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas le Moyen Âge qui inventa la caricature de l’épicurien. Plus encore, c’est à cette époque que l’on tenta de sauver Épicure et sa philosophie des enfers.

Extrait

Comment un philosophe et ses sectateurs ont-ils pu devenir des hérétiques et même, chez Dante, le symbole de l’hérésie ? Né en 341 av. J.-C., en Grèce, sur l’île de Samos, Épicure n’a pu enfreindre aucune loi révélée par le dieu des chrétiens, ni refuser la vérité d’un de leurs dogmes. Quant à la religion grecque ancienne, elle ne connaissait ni le concept d’orthodoxie ni celui d’hérésie. Il paraît donc difficile de concevoir qu’il ait pu faire l’objet d’accusations d’hétérodoxie, si ce n’est indirectement, à travers de lointains disciples qui auraient vécu plusieurs siècles après la fondation de l’école du Jardin à Athènes.
Dans ce vaste dossier, dont l’intrigue se noue pendant les premiers siècles de notre ère, au moment des grandes querelles doctrinales et politiques entre chrétiens, juifs et païens dans l’Empire romain, il est difficile de démêler la réalité historique du fantasme. D’un côté, l’épicurisme constituait une réalité bien vivante jusqu’au III e siècle apr. J.-C., avec ses écoles, ses disciples, et une doctrine philosophique commune. D’un autre côté, depuis toujours, les atours que lui donnèrent ses adversaires relevaient de la caricature, parfois même de la calomnie. L’épicurien était au mieux réduit à quelques thèses simplifiées – le monde est gouverné par le hasard, il n’y a d’autre bonheur que le plaisir, l’âme meurt avec le corps – et, le plus souvent, l’image qu’on donnait de lui n’entretenait qu’un rapport très lointain avec les principes de la philosophie du Jardin. On lui reprochait ses mœurs trop légères, son caractère autoritaire, ou encore ses croyances. Pour comprendre la figure médiévale de l’épicurien hérétique, et démêler ce qui relève de l’héritage ancien ou du geste propre de l’époque, il est essentiel de reconstituer les causes et les motifs de cette première problématisation antique et chrétienne.
Dater précisément l’émergence de la critique chrétienne de l’épicurisme n’est pas simple. Bien sûr, il y eut Paul venant prêcher aux épicuriens sur l’Agora d’Athènes, selon le récit qu’en donne Luc dans les Actes des apôtres. Mais l’anti-épicurisme chrétien a véritablement pris forme au II e siècle de notre ère. À cette époque, l’Empire romain s’étendait sur toutes les rives de la Méditerranée, il était menacé sur ses bords par les Barbares et avait connu plusieurs révoltes dans ses confins orientaux. Ce fut l’âge des religions hybrides et des diasporas22, qui a donné lieu à une interrogation intense sur les identités religieuses, jusqu’à ce que soient créés les concepts mêmes de chrétienté ou de judaïsme. En Orient, on comptait alors de nombreuses sectes isolées et localisées, tandis que se développait parallèlement l’idée d’une religion moins ancrée sur un territoire, plus « utopique23 ». Cependant les chrétiens, ces utopistes d’un nouveau genre, voulaient en réalité renverser et intégrer les communautés religieuses jugées trop repliées sur elles-mêmes. C’est donc à cette époque, dans cet espace restreint, que les chrétiens inventèrent d’un même coup l’hérésie religieuse et l’hérésie philosophique. C’est aussi à ce moment précis que fut créée l’étiquette infâme de l’épicurien athée et jouisseur. En associant systématiquement des écoles philosophiques aux sectes religieuses jugées dissidentes, l’épicurien allait devenir progressivement l’archi-hérétique et même l’hérétique par antonomase.

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