Conversations secrètes

Auteur(s) : Philippe Vasset, Pierre Gastineau
Editeur : Fayard
Sélection Rue des Livres

« Conversations secrètes » est à l’origine un podcast de Pierre Gastineau et Philippe Vasset dont le succès sur France Culture traduit l’immense passion française pour l’espionnage. Qui sont les espions d’aujourd’hui ? Comment les unités de renseignements mondiales sont-elles organisées ? Qu’est-ce qui différencie un espion français d’un espion anglais ou russe ? Les auteurs sont allés à la rencontre des maîtres de l’espionnage au Royaume-Uni, en Russie ou encore en Israël, et dressent dans ce livre une géographie originale et ludique du renseignement mondial.
Les services de renseignement fascinent autant qu’ils souffrent d’une image d’un autre temps. Les films, séries et romans qui mettent en scène des agents secrets façonnent leur légende : ils apparaissent comme d’austères bureaucrates ou de charismatiques James Bond… autant de fantasmes éloignés de la réalité.

Pierre Gastineau et Philippe Vasset sont allés à la rencontre des maîtres-espions des grandes puissances du renseignement et ont recueilli des témoignages encore inédits en France. Ces anciens agents de l’ombre de la DGSE, du MI6, de la CIA et autres services actifs sur la scène internationale racontent pour la première fois leur profession au quotidien et leurs rapports avec les gouvernants.

Comment Donald Trump a-t-il sapé la relation de confiance entre la Maison Blanche et la communauté du renseignement ? Les espions sont-ils au pouvoir en Russie ? Pourquoi Xi Jinping a-t-il rénové l’appareil de renseignement chinois en quelques années ? Comment la littérature britannique, les séries françaises et le cinéma hollywoodien sont-ils devenus des outils pour attirer de jeunes recrues ? Autant de questions auxquelles ces « conversations secrètes » répondent en esquissant une géopolitique mondiale du pouvoir des espions.

22,00 €
Parution : Octobre 2020
192 pages
ISBN : 978-2-2137-1721-0
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Extrait

Héros paradoxaux de l’ère de la transparence, les agents secrets sont la dernière parcelle d’opacité dans notre monde ultra-connecté. À ce titre, ils fascinent : du Bureau des légendes à Homeland en passant par Hatufim, on ne compte plus les séries, et les films, récemment consacrés au phénomène. Mais les abonnés de Netflix ne sont pas les seuls à être séduits par l’espionnage : de la Chine à la Russie en passant par les démocraties occidentales, les dirigeants s’appuient de plus en plus sur leurs services de renseignement, que ce soit pour s’insérer dans des conflits dont ils ne sont pas, officiellement, partie prenante, ou bien pour guerroyer sur le front économique.
Acteurs majeurs de notre monde contemporain, les services de renseignement restent cependant prisonniers d’une image d’un autre temps. Opérant à 99 % hors des frontières de leur pays, ils sont, à domicile, des mythes intégralement sanctuarisés. Les Américains connaissent leur CIA, les Français leur DGSE et les Allemands leur BND, mais tous ces services donnent l’impression de batailler à l’aveugle contre des entités anonymes. Durant la guerre froide, les blocs soviétiques et occidentaux ne cessaient de dénoncer les tentatives d’espionnage, heureusement déjouées, dont ils étaient victimes : CIA et KGB y avaient gagné une célébrité mondiale, et Washington et Moscou grouillaient de spécialistes des services rivaux. Aujourd’hui, chacun reste dans son couloir national. Par exemple, unanimement dénoncés par les pays de l’Ouest, les services secrets chinois restent, pour la majorité du public occidental, une nébuleuse.
C’est pour remettre de la perspective dans ces angles morts que nous avons entrepris ce livre, issu d’une série réalisée à l’origine pour France Culture et diffusée au cours de l’été 2019. Pendant plusieurs mois, nous avons été à la rencontre des maîtres-espions des grandes puissances du renseignement, chaque fois avec le même objectif : comprendre comment, dans chaque pays, les fonctionnaires du secret informent le pouvoir exécutif. Il était important pour nous de ne pas procéder de manière abstraite, comme c’est souvent le cas en matière d’espionnage, mais de donner la parole aux praticiens pour qu’ils racontent, au quotidien, leur rapport avec les gouvernants.
Ces « conversations secrètes » nous ont permis d’esquisser une géopolitique mondiale du pouvoir des espions. Ainsi, aux États-Unis, l’élection de Donald Trump a profondément dégradé les relations entre la Maison Blanche et la communauté de l’espionnage, le nouveau Président remettant régulièrement en cause les analyses de ses propres services qui, de leur côté, n’hésitent plus à enquêter sur lui, et plus particulièrement sur ses liens avec la Russie. Les fuites émanant des services se sont multipliées dans la presse ces dernières années, sapant les initiatives les plus controversées de la Maison Blanche. Jadis prompts à soutenir, voire à susciter, les coups d’État en Amérique latine ou en Afrique, les hommes de la CIA se vivent aujourd’hui comme les vigies de la démocratie à un moment où celle-ci serait menacée par le Président élu.
À l’inverse, en Russie, les espions sont le pouvoir. Vladimir Poutine et son entourage ont, dans une très large mesure, commencé leur carrière dans les services de renseignement, au point que ce sont bien souvent les espions qui commandent aux politiques, et non l’inverse. C’est tout particulièrement vrai dans le domaine de la diplomatie : intervention en Syrie, pénétration de l’Afrique, stratégie d’influence en Europe de l’Est… Toutes les interventions de la Russie hors de ses frontières sont pilotées par des espions, et plus par des diplomates. Il en est de même en Chine, où Xi Jinping a rénové et musclé en quelques années un appareil de renseignement colossal. Celui-ci est devenu à la fois le fer de lance de la mise en coupe réglée du pays et l’instrument au service de l’expansion économique de la future superpuissance mondiale.
Ouvrir largement le micro aux professionnels permet également de rendre manifestes les travers de chaque nation dans l’action clandestine. Car même en matière d’espionnage, chaque pays a ses forces, ses faiblesses et ses tabous, souvent hérités de l’histoire. Les États-Unis accordent ainsi un très grand pouvoir aux parlementaires sur les questions de renseignement – l’ancien directeur de la CIA David Petraeus nous a raconté ses dîners avec les membres du Congrès et du Sénat – quand la France, sans parler de l’Allemagne, est nettement plus timide en la matière. Invisibles quand on considère les services d’un strict point de vue national, ces traditions deviennent criantes quand on procède à des comparaisons internationales. Elles influent même sur les questions directement opérationnelles. Les services allemands sont d’une prudence extrême en matière de collecte d’informations personnelles, quand la Chine et les États-Unis sont clairement plus décomplexés sur ces questions.
Enfin, ces « conversations secrètes » ont porté sur des aspects plus sociaux du monde de l’espionnage, parce que ces usages censément anodins nous paraissent utiles pour mieux comprendre son fonctionnement. Savoir que le renseignement est, au Royaume-Uni, une filière d’excellence qui recrute dans les meilleures universités est un paramètre important pour envisager la place et le rôle des espions anglais.
Dans ce même but, nous nous sommes aperçus qu’il était absolument nécessaire d’élargir ce tour d’horizon mondial de l’espionnage à la fiction. Cachés derrière la double enceinte du secret, les services de renseignement sont un objet de fantasme, et le sujet récurrent de films, séries, romans. Souvent dédaignée par les spécialistes comme un brouillard masquant les réels enjeux, la fiction participe en réalité pleinement de la sphère de l’espionnage. D’abord, parce qu’il s’agit d’un outil de renseignement puissant : la CIA, la première, a compris l’intérêt de collaborer avec Hollywood pour attirer les jeunes recrues. Pendant longtemps, le MI6 a couvé John Le Carré et Ian Fleming, dont les exploits sur papier célébraient, en creux, les capacités du service de renseignement britannique, et attiraient les défecteurs tentés par le passage à l’Ouest. Ensuite et peut-être surtout, parce que la fiction est bien souvent la seule vitrine des services de renseignement, et que scénaristes et romanciers sculptent durablement les mythes nationaux en matière d’espionnage. Le mépris dont ont longtemps souffert les fonctionnaires du secret dans la haute administration française a été largement alimenté par une certaine tradition de comédie sur l’espionnage, depuis Les Barbouzes jusqu’à Opération Corned-Beef en passant par Le grand blond avec une chaussure noire.
Bienvenue dans le monde des espions !

Informations sur le livre