Âmes et animaux

Auteur : Arno Klarsfeld
Editeur : Fayard
En deux mots...

Entre les Caractères de La Bruyère et les Fables de La Fontaine, Arno Klarsfeld livre des portraits subtils de la relation de l'âme humaine à l'animal, fruits d'une réflexion nourrie de l'expérience du confinement vécu avec ses parents, Serge et Beate.

Arno Klarsfeld a été l’avocat des parties civiles lors des procès Touvier et Papon. Il a toujours milité pour la sensibilisation au bien-être animal.

20,90 €
Parution : Janvier 2021
378 pages
ISBN : 978-2-2137-1801-9
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Présentation de l'éditeur

« Le 16 mars 2020, mes parents Serge et Beate sont venus se confiner chez moi. L'appartement est vaste, et leur bureau est dans l'immeuble, ce qui leur permettait de travailler sans avoir à traverser Paris. Nous étions trois bipèdes et cinq quadrupèdes : trois chats et deux chiens.
Pourquoi décider alors d'écrire ? Pour partager ses pensées, passer le temps en faisant disparaître l'angoisse de perdre ses parents, en étant peut-être à la fois parricide et matricide si j'avais été contaminé avant le confinement. Mais, surtout, pour faire avancer une cause qui me tient à coeur : l'amélioration du bien-être animal, qui sera une des causes majeures du xxie siècle dans le monde occidental, sauf tragédie de grande ampleur. Ainsi, presque chaque jour, j'ai essayé d'écrire une nouvelle impliquant l'homme, l'animal, l'environnement que j'ai connu avec le confinement comme toile de fond. À travers ce journal transparaît donc l'amour pour les parents et pour les animaux. L'un est un commandement de Dieu, l'autre devrait l'être aussi. ».

Dans ce journal ponctué par des événements que nous avons tous connus, des inquiétudes que nous avons tous partagées, Arno Klarsfeld nous livre un récit singulier traversé d'échanges étonnants avec ses parents, de bribes du passé et de réflexions. Il y mêle de subtils portraits de l'âme humaine et de la relation sensible aux animaux au fil d'histoires à la croisée de La Bruyère et La Fontaine.
Un livre insolite, riche en émotion et en humour.

Extrait

Lundi 16 mars

On est en 40. En juin 40. Juste avant la défaite. Avant la tragédie. Serge dit qu’en 40 on avait évacué les femmes et les enfants de Paris… C’est ça, on attend les bombardements. On attend les morts… Et comme dans chaque guerre, avant qu’elle ne débute il faut faire des réserves… Déjà la queue devant les épiceries. Première fois que je vois ça en France. Des gens se sourient, d’autres se méfient. Le regard de chacun sur chacun s’est modifié en l’espace de quelques jours. On est scotché aux nouvelles. Les risques pour les jeunes sont minimes. Pour les vieux c’est autre chose… Serge dit qu’en temps de crise on laisse les vieux mourir et que s’il attrape ce virus il mourra.
Il y a maintenant dans mon vaste appartement, outre mes parents et moi, trois chats et deux chiens. Moses, le chat de Serge, apeuré, ayant quitté son territoire familier pour un monde nouveau inconnu, gronde, les oreilles en arrière, et se déplace le ventre au sol ; Malka, ma chatte noire que j’ai ramenée de Jérusalem, crache comme les religieux du Saint-Sépulcre qui se disputent un bout de chapelle ; et Heaven, un ragdoll blanc au caractère placide, est attentif. Les chiens sont Rick, un griffon trouvé abandonné dans la cage municipale de Breteuil-sur-Iton où mes parents ont une maison de campagne, et Poupy, une boule de poils blonds achetée à des Roms sur le trottoir et, selon ses papiers, née en Roumanie. Chacun s’acclimate. J’ai acheté suffisamment de nourriture pour que les chats, du moins, puissent tenir un siège de plusieurs mois. En Italie, selon une amie, il est maintenant interdit de se promener sauf pour aller vider la poubelle ou sortir son chien, ce qui est devenu le sport national. Les premiers signaux positifs de diminution de cas devraient arriver en début de semaine prochaine, dit-elle. Les médecins n’accueillent plus les patients. La Chine a envoyé des renforts. À Paris chacun a des informations confidentielles de tel ou tel médecin qui travaille dans tel ou tel service. Dehors peu de bruits. On est dimanche un lundi.
On n’entend plus tellement de propos solidaires sur les migrants et les SDF. Temps de crise, ce n’est plus la priorité. On comprend pourquoi en 1940 on ne disait pas grand-chose sur le statut des Juifs. Ce n’était pas la priorité. Les animaux ne sont pas non plus une priorité. On pense aux hommes et aux femmes, mais les magasins d’alimentation pour animaux et les vétérinaires demeurent ouverts.
Ce soir, le président devrait annoncer le confinement. Depuis le XIVe siècle, il n’y a sans doute pas eu de telle mesure. En 1348, pendant la Grande Peste, on rapporte que dans la ville de Damas le lieutenant du sultan ordonna au crieur public de proclamer dans la ville un deuil de trois jours. Et puis tout le monde alla prier à la mosquée comme en 1940 le gouvernement laïc de la IIIe République était allé prier à Notre-Dame. Au Moyen-Orient, on ne tua pas les Juifs, on les laissa même défiler avec leurs bibles aux côtés des musulmans qui portaient leurs corans. Et déjà on faisait les comptes entre les morts. À Damas, grâce aux prières, dit-on, il n’y eut que 2 000 morts tandis qu’au Caire il y en eut 24 000. En Europe aussi il y avait des processions de dévotion et des manifestations de piété religieuse, mais ces processions étaient accompagnées de médecins qui n’avaient guère d’efficacité : ils tenaient à la main des fleurs, des plantes odorantes et les portaient aux narines comme aujourd’hui on se couvre de masques. En Occident, on avait compris ou accepté que la maladie passait d’homme à homme. En Orient, un débat s’était instauré sur la foi des écrits du Prophète afin de savoir si une telle contamination était compatible ou non avec ce qu’il avait dit.
Je sors du XIVe siècle et entre dans le XIXe.
— Viens lire cette nouvelle de Maupassant, me dit Serge.
— C’est un peu ennuyeux Maupassant je trouve…
— Peut-être mais c’est bien écrit.
— Il n’y a pas tellement de réflexions comme chez d’autres.
— Peut-être mais il y a des situations vraies.
— Pourquoi tu lis ça ?
— Parce que les nouvelles font six pages et c’est facile à lire pour une collation.
Et il dit cela devant des œufs mayonnaise et des aubergines.
J’écris en cherchant surtout à ne pas penser à ceux qui meurent et à la tristesse des proches. Mais chaque jour des gens meurent. Épidémie ou pas. Ce qui fait peur, c’est que cette horreur inconnue et sans remède touche Serge et Beate. Sinon je serais sans doute, j’espère que non mais je crains que si, aussi égoïste que les jeunes, et avec des années en moins je chercherais à courir les filles. On ne peut pas savoir. Même si c’est un journal intime, inutile de se noircir sans être certain. J’ai déjà suffisamment de défauts.

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