Théâtre I

Auteur : Robert Badinter
Editeur : Fayard

Trois pièces qui ont toutes à voir avec la justice et le destin des hommes. L'une, déjà publiée, C.3.3., dans laquelle R. Badinter évoque le procès pour homosexualité d'Oscar Wilde, celui-ci sera condamné à deux ans de prison, et marquera le début de sa chute.
Les briques rouges de Varsovie : nous sommes au coeur du ghetto, aux derniers jours de l'insurrection, les personnages ont déjà vécu le pire et sont acculés dans leurs derniers retranchements.
Cellule 107, dialogue à Fresnes entre Laval, qui vit ses dernières heures avant son exécution, et Bousquet, son voisin de cellule.
J’ai toujours aimé le théâtre.
Au lendemain de la guerre, j’ai découvert son pouvoir d’envoûtement du troisième balcon où se juchaient les étudiants.
La jeunesse s’est enfuie, mais la passion est restée. Elle devait porter ses fruits. J’ai écrit en secret des pièces de théâtre. Nombre d’ébauches ont pris le chemin de la corbeille à papier, mais quelques-unes ont échappé à ces excès de dépit amoureux. Les voici réunies sous le titre optimiste de Théâtre I.
Au lecteur d’être, par la grâce de l’imagination, le metteur en scène et l’acteur de ces pièces. Frappons les trois coups. Instant magique, le rideau se lève...
R. B.

Né à Paris en 1928, Robert Badinter, avocat, fut ministre de la Justice (1981-1986), président du Conseil constitutionnel (1986-1995) et sénateur (1996-2001).

23,00 €
Parution : Mars 2021
350 pages
ISBN : 978-2-2137-1836-1
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Extrait

Au lever de rideau, deux surveillants sont seuls dans la cellule de Pierre Laval. C’est le soir. Une ampoule électrique accrochée au plafond répand une faible lumière. Les deux hommes inspectent les lieux. Mais ils ne touchent pas aux dossiers empilés sur une étagère, à côté d’une valise entrouverte sur des cartouches de cigarettes américaines. Des papiers sont posés sur un panneau ouvert, scellé dans le mur, qui sert d’écritoire. Tout est soigneusement rangé dans la cellule, notamment les dossiers et les feuillets couverts de l’écriture de Laval.

LE GARDIEN (s’adressant au surveillant-chef) — Alors, chef, vous pensez que c’est pour demain matin ?

LE SURVEILLANT-CHEF — Oui. Le directeur m’a dit de faire une dernière fouille dans la cellule. Il a autorisé ses avocats à le voir ce soir exceptionnellement.
Comme on l’emmènera demain matin au fort de Châtillon pour l’exécution, il n’aura pas le temps de s’entretenir avec ses avocats. C’est pour ça que le directeur les a autorisés à rester avec lui aussi tard. Il préfère que ce soit eux qui le préviennent. Mais je ne crois pas qu’ils en aient le courage.
Le directeur m’a dit de ne pas lui remettre les chaînes aux chevilles. C’est bien. Moi aussi, ça me gêne de voir des hommes entravés comme des animaux dangereux. Et puis, à son âge et dans son état…

LE GARDIEN — C’est peut-être aussi par rapport à ce qu’il a été, notre client. (Désignant de la main la grosse serviette noire posée sur le lit et marquée en lettres d’or « Pierre Laval. Président du Conseil ».) On n’a pas ici tous les jours un ancien président du Conseil. J’avais vu des ministres en prison. Mais un président, ça jamais.
C’est vrai qu’il est facile à vivre et toujours aimable. On voit qu’il a été élevé petitement, que son père tenait une auberge à Châteldon. D’ailleurs, il ne fait pas faute de le rappeler.
(Un temps de silence.) Du bistrot de papa à la présidence du Conseil, c’est un beau parcours. Dommage pour lui qu’il ait dérapé en fin de trajet. Mais c’est bien qu’il n’ait jamais caché ses débuts difficiles. Au contraire.

LE SURVEILLANT-CHEF — Tu ne vois pas que c’était par intérêt politique ? Rien de mieux que d’être un fils du peuple pour être candidat. Surtout dans un arrondissement populaire, dans la banlieue de Paris.

LE GARDIEN — En tout cas, il est pas fier.

LE SURVEILLANT-CHEF (ironique) — Au moment des élections, j’en suis sûr ! Mais ça, c’est le passé. Depuis lors, il y a eu la défaite, Vichy, l’Occupation, la collaboration, la fuite en Allemagne. On est loin des meetings de jadis, quand il était socialiste. Maintenant, il est ici, à Fresnes, au quartier des condamnés à mort. Quelle dégringolade !

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