La Maison aux esprits

Auteur : Isabel Allende
Editeur : Fayard
En deux mots...

Premier roman d’Isabel Allende qui la consacra comme écrivaine à la renommée mondiale, La Maison aux esprits est un classique intemporel, une fresque intergénérationnelle où s’entremêlent sur fond de merveilleux l’histoire intime d’une famille et celle de l’Amérique du Sud.

Traduit de l’espagnol (Chili) par Claude et Carmen Durand
22,30 €
Parution : Octobre 2022
600 pages
ISBN : 978-2-2137-2136-1
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Présentation de l'éditeur

À la mort de Rosa del Valle, sa fiancée d’une incomparable beauté, Esteban Trueba s’exile aux Trois María, la propriété abandonnée de sa famille, pour tenter d'oublier sa peine. Dix ans plus tard, le domaine a retrouvé sa splendeur d’antan et les fermiers des conditions de vie décentes. Esteban, désormais riche propriétaire, revient à la ville chercher une épouse et jette son dévolu sur Clara l’extralucide, sœur de Rosa. Il construit pour elle une grande demeure. Bientôt, la maison s’emplit de leur descendance et de visiteurs, sans oublier les esprits attirés par les dons surnaturels de Clara… Mais le temps passant, les failles et les ambitions de l’irascible Esteban finissent par fissurer le fragile équilibre familial, alors que le cours de l’histoire emporte les siens dans les affres des révolutions sociales et politiques du xxe siècle.
Premier roman d’Isabel Allende au succès mondial, La Maison aux esprits est devenu un classique incontournable. À travers trois générations de la famille Trueba, à la croisée de l’Histoire et du merveilleux, Isabel Allende tisse une évocation poétique et terriblement lucide du pays qu’il lui a fallu fuir après le coup d’État militaire de Pinochet.

Extrait

Barrabás arriva dans la famille par voie maritime, nota la petite Clara de son écriture délicate. Déjà, à l’époque, elle avait pris le pli de consigner les choses importantes, puis, quand elle devint muette, de mettre par écrit les banales, sans se douter que cinquante ans plus tard, ses cahiers me serviraient à sauver la mémoire du passé et à survivre à ma propre terreur. Le jour de l’arrivée de Barrabás était Jeudi saint. Il débarqua dans une cage indigne, couvert de ses propres excréments et urines, avec un regard égaré de prisonnier misérable et sans défense, mais on pressentait déjà – à son port de tête royal et aux proportions de son ossature – le géant légendaire qu’il allait devenir. C’était un jour de torpeur automnale qui ne laissait en rien présager les événements que la fillette consigna pour en garder souvenir et qui se produisirent durant l’office de midi, à la paroisse de Saint-Sébastien, auquel elle assista avec toute sa famille. En signe de deuil, les saints étaient recouverts de chiffes violettes que les bigotes dépoussiéraient annuellement de l’armoire de la sacristie, et sous ces housses funèbres l’assemblée céleste avait l’air d’un capharnaüm de meubles en instance de déménagement, sans que cierges, encens et gémissements de l’orgue pussent contrecarrer ce déplorable effet. Se dressaient de sombres masses menaçantes en lieu et place des saints en pied avec leurs visages interchangeables à l’expression enchifrenée, leurs perruques soignées en cheveux de morts, leurs rubis, leurs perles, leurs émeraudes de verroterie et leurs accoutrements de nobles florentins. Le seul favorisé par le deuil était saint Sébastien dans la mesure où, pendant la Semaine sainte, il épargnait aux fidèles la vue de son corps contorsionné dans une pose indécente, traversé d’une demi-douzaine de flèches, dégoulinant de sang et de larmes, comme un homosexuel tout dolent et dont les plaies, miraculeusement rafraîchies par le pinceau du père Restrepo, faisaient frémir Clara de dégoût.
C’était une longue semaine de pénitence et de jeûne, on ne jouait pas aux cartes, on ne faisait pas de musique, qui eût incité à la luxure et à l’oubli, et l’on observait dans les limites du possible les plus grandes tristesse et chasteté, quoiqu’en ces jours précis l’aiguillon du démon tentât avec plus d’insistance que jamais la faible chair catholique. Le jeûne consistait en de moelleux feuilletés, de savoureuses ratatouilles de légumes, des omelettes bien baveuses et de larges fromages rapportés de la campagne, avec lesquels les familles commémoraient la Passion du Seigneur, se gardant de toucher le moindre morceau de viande ou de poisson gras, sous peine d’excommunication, ainsi que le proclamait instamment le père Restrepo. Nul ne se serait hasardé à lui désobéir. Le prêtre était pourvu d’un long doigt dénonciateur pour désigner publiquement les pécheurs et d’une langue bien entraînée à susciter les remords.
« Toi, voleur qui as dérobé le denier du culte ! » – s’écriait-il du haut de la chaire en montrant du doigt un homme affairé à feindre de chasser un bout de fil de son revers pour ne pas avoir à le regarder en face. « Toi, dévergondée qui te prostitues sur les quais ! » lançait-il accusateur à Ester Trueba, percluse d’arthrite et adoratrice de la Vierge du Carmel, laquelle ouvrait des yeux ébahis, sans savoir la signification du mot ni où pouvaient se trouver les quais. « Repentissez-vous, pécheurs, immonde charogne, indignes du sacrifice de Notre-Seigneur ! Jeûnez ! Faites pénitence ! »

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