Ne me remerciez pas !

Auteur : Martial Caroff
Editeur : Fayard

Alors qu'il donne un cours, Jacques Gaubert s'effondre et décède. Empoisonnement aux diatomées, décrète le médecin légiste. Ironie du sort, c'est précisément l'objet des recherches de cet expert en géologie. Collègues, étudiants, concurrents, tous les chercheurs du labo sont suspects.
Mais les victimes s'enchaînent et le meurtrier semble toujours avoir deux coups d'avance sur la brigade criminelle du 36.

Martial Caroff est universitaire, spécialiste du volcanisme ancien. Il est l'auteur de nombreux articles et livres documentaires de géologie. Il a également écrit des romans pour les adultes et la jeunesse dans des genres aussi variés que le policier, la science-fiction et le récit historique, ses périodes favorites étant la Préhistoire et l'Antiquité.

9,90 €
Parution : Novembre 2023
Format: Poche
288 pages
ISBN : 978-2-2137-2655-7

Extrait

Prologue

Vendredi 23 mars
14 h 35

Soudain, le silence dans la petite salle.
Des épaules se haussèrent, des sourires s’échangèrent, se muèrent en soupirs. Les étudiants ne connaissaient que trop les effets de manches de Jacques Gaubert en vue d’accrocher l’attention de son public. D’effet, en réalité, ça leur en faisait de moins en moins. Aux garçons, du moins. Non que les cours ou les conférences de cet enseignant ne fussent appréciés, mais quel besoin de les ponctuer de ces interruptions intempestives, puérils suspenses agrémentés de grimaces et de gestes figés ?
Sacré comédien, va !
Encore dix secondes et les traits de Jacques Gaubert reprirent vie. L’homme redevint ce professeur à la voix veloutée, dont le beau visage de quadragénaire – un peu jaune aujourd’hui – parvenait à reproduire d’un cours à l’autre le miracle de la multiplication des auditrices.
— Je viens de vous décrire les caractéristiques d’une oscillation climatique majeure datée du pliocène, poursuivit-il enfin, et vous avez pu noter à quel point ses prémices sont semblables à celles qui, de nos jours, annoncent les fameux bouleversements dont la presse nous assomme. Le message laissé par les diatomites est formel : parmi les importantes variations enregistrées dans les archives climatiques de la Terre, il y a eu un précédent quasi similaire à ce que nous connaissons aujourd’hui. Un précédent aux causes naturelles !
— Doit-on vous ranger parmi les climatosceptiques ? le défia un étudiant aux mèches agressives.
— Ne croyez pas cela ! répliqua l’enseignant, de plus en plus jaune et suant. Le climat est en train de changer, c’est incontestable, et il n’est pas question ici d’amoindrir la responsabilité des activités humaines. Je veux simplement attribuer à la Nature la part… (il se massa l’estomac en grimaçant de douleur) la part qui lui est due… (Il marqua un long temps d’arrêt qui, cette fois, ne semblait pas être calculé.) Excusez-moi, je ne sais pas ce qui…
Gaubert appuya une fesse sur son bureau. Il vacilla sous le regard inquiet d’une jolie poupée, en train de repasser dans sa tête la tirade qu’elle avait préparée pour convaincre son professeur de l’inviter ce soir dans un resto romantique. On ne doute de rien quand on a vingt-deux ans. Mais s’il avait une gastro, ses projets tombaient à l’eau.
Entre-temps, Gaubert s’était redressé. Il désigna de sa baguette d’osier l’écran sur lequel s’étalait la photographie d’un front de carrière blanc.
— Désolé. Je disais que les fossiles de plantes conservés entre les niveaux de diatomites des Coirons permettent de suivre de manière très fine l’évolution magmatique… euh, je veux dire, climatique au tournant du miocène et du pliocène, à une époque où le climat était proche de celui que nous connaissons actuellement en Europe occidentale. Nous avons commencé à étudier de manière statistique les populations de feuilles de… euh… d’érable… d’érable et de tilleul, ainsi que l’évolution de la forme des… La morphologie des dents de… de lapin… ? Plantées dans le pistil des… euh… des sauterelles… ? Il y en a aussi ! De belles sauterelles. Des lapins fossilisés, des diatomées, des sauterelles momifiées… Des diatomites… Les diatomites sont… bizarres… étranges, à dire vrai…
Gaubert se tut. Les yeux qu’il écarquillait devant l’assistance figée devenaient vitreux, stupides. Il tenta de marmonner encore une phrase ou deux, où s’embrouillaient les mots et les idées, puis il lâcha sa baguette et, avant de s’effondrer dans un vomissement, il posa distinctement ces deux questions ahurissantes :
— C’est quoi… des diatomites ?
Puis :
— Qui êtes-vous ?

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