Post mortem

Prix du Quai des Orfèvres 2025
Auteur : Olivier Tournut
Editeur : Fayard

"Une oeuvre pas belle à voir" : telle est la façon dont la scène de crime a été décrite à la capitaine Isabelle Le Peletier avant son arrivée sur les lieux. Mais rien n'aurait pu la préparer à une telle horreur. Dans un grand appartement parisien, vide de tout meuble, le corps d'un homme l'attend assis sur une chaise, nu et atrocement mutilé. Sur son avant-bras, un étrange tatouage. Le clou du spectacle : un tableau de Van Gogh disparu depuis la Seconde Guerre mondiale est posé à côté du cadavre.
Epaulée par l'imprévisible lieutenante Blanche Charon, Isabelle Le Peletier mène l'enquête sans se douter que ce meurtre va l'emmener sur les traces d'un des hommes les plus puissants du pays.

9,90 €
Parution : Novembre 2024
Format: Poche
336 pages
ISBN : 978-2-2137-2781-3
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Extrait

Mardi
16 heure

Nerveux, les biceps étouffés dans un polo et un sac sur l’épaule, un homme regarde la rue au loin, aveuglé par la lumière blanche du soleil. Il distingue néanmoins la silhouette d’un flic en tenue, une main posée sur la crosse de son arme. Les derniers attentats remontent à six mois. Ils claquent dans l’esprit de tous comme une menace quotidienne.
Il passe devant le policier au visage fermé et prend un virage. Il tombe sur une fête. Une affiche clouée sur un poteau indique que la kermesse annuelle des écoles débute à 16 h 30. Des gosses de huit à dix ans courent et sautent partout. On entend des voix mûres, celles des parents qui, agglutinés contre les barrières métalliques alignées de chaque côté de la rue, chopent des pirates ou des princesses avec leur smartphone. Tous ces cris se répandent comme une traînée de poudre, prêts à enflammer la rue.
De l’autre côté, le 91 bis. Un immeuble à la pierre propre, presque blanche, qui ressemble aux autres. Même hauteur, même façade haussmannienne. C’est là que l’homme a rendez-vous. Une barrière Vauban s’ouvre pour laisser passer une famille. Il serre son sac et rejoint l’autre côté.
16 h 10. L’homme s’enfonce dans le hall du 91 bis au rythme des tambours des P’tits Poulbots de Montmartre. La porte claque derrière lui et la rumeur se tait. Place au silence. Un silence de mort.
16 h 12. Il ne sait pas à quoi est due la sensation pâteuse dans sa bouche, mais elle s’apparente à un mauvais présage. Il grimpe des marches recouvertes d’un plastique qui protège une moquette rouge. Au quatrième étage, des notes de La Traviata sortent d’un appartement. C’est étrange ce qu’il ressent mais l’opéra l’apaise comme par magie.
16 h 14. Au septième étage, la même couche de poussière. Il regarde en bas par-dessus la main courante de l’escalier, puis vers le haut. Personne. Une porte est entrouverte. Ça pue l’embrouille, estime-t-il. Verdi est bien loin. Il secoue ses bras le long du corps pour éloigner ce qui le ronge et pousse la porte jusqu’à la butée. Il appelle. Personne ne répond. Il grimpe deux marches en marbre qui mènent à une pièce vide. Il appelle de nouveau. Pas de réponse. La porte claque et convoque l’idée qu’un piège se ferme, comme de la glace autour d’un navire en pleine mer polaire. Il se tourne d’un quart sur sa droite. Une ombre imposante se jette sur lui et le frappe, juste au-dessous des épaules.
Désorienté, il s’écroule et sa tête percute le parquet. Aussitôt, on l’attrape par les aisselles, on le fait traîner sur le sol et on le plaque de force contre le dossier d’une chaise. Des liens autobloquants en plastique ceignent ses poignets et ses chevilles.
Le bruit d’une moto lui parvient d’une fenêtre ouverte. À moins que cela ne soit un scooter. À cette hauteur, difficile de définir le type de cylindrée. Encore moins le modèle.
Lorsque les percussions des gamins de Montmartre montent de la rue, il se prend deux coups dans le ventre. Ceux-là sont donnés avec un objet lourd. On dirait une barre de fer. Il avale le mal qui le secoue. Du sang coule dans sa gorge. Ses papilles ont le goût de la mort.
La douleur envahit son corps comme un ouragan saccage une ville. Il entrouvre ses yeux couverts de sang. Son visage boursouflé sourit. Il aperçoit sa toile posée sur un chevalet. Il admire les lignes parfaites du tableau. Les couleurs scintillantes de jaune et de vert respectent la création originelle.
Des larmes de fierté rouges de sang coulent et inondent son visage.
C’est la dernière fois qu’il voit la lumière du jour.
En retrait, j’aurais pu dire : ne te retourne pas. Mais comme j’étais certain qu’on n’écoute pas ce genre de phrase, je l’ai frappé. Au sol, son visage afficha de la peur et un « pourquoi » qui ne sortait pas. Convaincu qu’il allait le formuler, je lui ai mis un coup de pied dans le ventre, plus brutal que le premier, et trois autres éclatèrent son arcade sourcilière droite. Ça lui ôta tout désir de discuter.
Quand j’ai prononcé son nom, j’ai senti qu’il cherchait qui j’étais, d’où nous nous connaissions. À sa place, j’aurais fait pareil. Mais, avec ce qu’a pris son cerveau, il n’était plus en état de se souvenir. Il marmonna un « mais » plein de douleur. Là, j’ai coupé court son envie de débattre en comprimant sa trachée avec mon coude, puis j’ai tiré la chaise sur un mètre, saisi sa tête, que j’ai cognée contre un mur. Sa tête eut un mouvement démantibulé.

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