Pourquoi moi ?

Auteur : Christine Kelly
Editeur : Fayard

Un soir, en plein direct, Christine est brusquement prise d'un trou de mémoire. C'est le black-out total. AVC ?
En réalité, c'est son corps qui se rebelle contre la pression qu'elle lui impose depuis années. Ce n'est pas un burn-out, c'est pire. C'est un traumatisme d'une violence extrême, vécu à douze ans.
«Kelly Salope.» Tels sont les mots que Christine a le choc de découvrir sur les murs de son collège, au Lamentin. Personne ne prend sa défense. Toute la cour de récréation la regarde, avec malveillance. C'est la naissance du trauma qui la dépossède de son chemin de vie. De l'enfance à l'âge adulte, Christine occulte ce traumatisme. Se confronter aux regards, dans lesquels elle ne se reconnaît pas, est pour elle une épreuve tant à l'école, que dans la rue, au lycée, à l'université, à la télévision. Elle doit se confronter aussi à l'acceptation de soi, de sa beauté, ce « cadeau » qui lui a valu tant de déconvenues et lui semble si éloigné de la femme qu'elle est vraiment.
Mais la naissance de sa fille lui permet de se réapproprier son destin. Un miroir dans lequel elle se reconnaît: enfin, elle réussit à se réconcilier avec son enfant intérieur. A plus de cinquante ans, elle retrouve la plénitude et la sérénité.
Ce récit fait entendre la voix de Christine à différents âges de sa vie, petite-fille, adolescente, jeune femme, mère. Le lecteur grandit avec elle au travers de son discours, qui évolue, de sa perception du monde et de ses interrogations, qui résonnent avec nos préoccupations à tous. Des enfants que nous avons tous été aux hommes et aux femmes que nous sommes devenus, nous portons tous cet enjeu, apprendre à s'aimer pour mieux aimer les autres.

20,90 €
Parution : Septembre 2025
342 pages
ISBN : 978-2-2137-3158-2
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Extrait

Oubliez votre corps, et il se rappelle à vous.
Il se rappelle à moi le soir mémorable du 26 mai 2021. Je suis en plateau avec Éric Zemmour, animant mon émission Face à l’info sur CNews. Dix-neuf heures, l’émission vient de commencer. Fiches en main, je suis prête – du moins, je le crois – à tenir la rampe jusqu’à 20 heures : présenter, commenter, distribuer la parole à mes chroniqueurs est mon lot quotidien. Cet exercice requiert une concentration intense, dont je pense avoir l’habitude. Je suis plutôt une femme d’action, une femme de fond, une femme ancrée et concentrée.
Tout à coup, je ne comprends plus rien de ce que raconte Éric Zemmour. Plus étrange, mes chroniqueurs, eux, ne semblent pas perturbés par cette parole chaque seconde plus embrouillée.
Je jette un œil à mes fiches. Rédigées avant l’émission, elles me servent de fil conducteur. Je m’y réfère toujours pour mener les débats. Or, face à ces notes, mes précieux repères, je suis soudain perdue, désemparée. Mon incompréhension de ces annotations est totale. Qu’est-il écrit ? Qui a rédigé ces questions et ces commentaires ? Moi ? De seconde en seconde, je me sens perdre pied. Tout se passe comme si, au volant d’une voiture, je venais de m’engager sur l’autoroute, mais que subitement je ne sache plus conduire. Alors que j’ai mon permis depuis trente ans.
Certes, il ne s’agit que d’une émission de télévision. Pour autant, une sortie de route de ma part serait très préjudiciable aux chroniqueurs, à l’émission et surtout aux quelques centaines de milliers de téléspectateurs à qui je dois maîtrise, rigueur et neutralité. Il va falloir reprendre le contrôle, Christine… sans rien laisser paraître de ton malaise, au risque de tout faire déraper. Seulement, impossible de recouvrer mes esprits, la situation ne fait qu’empirer. Plus Éric Zemmour parle, plus mon cerveau est incapable de discerner son propos, plus mes notes me paraissent un fatras, du charabia. Plus rien n’a de sens. Un doute affreux me traverse : est-ce vraiment moi qui ai écrit ces textes ? Oui… je me revois rédiger ces fiches quelques heures plus tôt.
Pourquoi ma mémoire est-elle en train de m’échapper ?
Pourquoi je ne sais plus conduire, alors que, si je puis dire, je suis à cent soixante sur l’autoroute ? Excès de vitesse. Perte de contrôle du véhicule. Un véhicule plein de passagers.
Ne pas y penser. Je dois conduire, tenir le coup, action !
Passer la parole au chroniqueur suivant. Enchaîner en lui lisant une question écrite sur ma fiche. Cette question que ma voix porte, je n’y comprends rien. Au moins, je dispose encore de la capacité de la lire. Mon Dieu, faites que je sache lire jusqu’à la fin du direct… Répondant à mon invitation, le chroniqueur prend la parole. Je le regarde, lui prête toute mon attention, et j’espère… Pourvu que mes facultés intellectuelles et cognitives se rétablissent avant la fin de sa réponse.
Il termine.
Je suis toujours perdue.
De plus en plus.
Continue, Christine, trace ta route comme si de rien n’était. Reste calme. Ça, tu sais faire. Ne montre rien de ton désarroi. Ta marque de fabrique.
Toute l’émission se déroule dans ce chaos effrayant que je m’efforce d’invisibiliser. J’avance. Je pose mes questions. J’écoute les réponses.
Personne ne voit, personne n’imagine que je ne sais plus conduire.
Que se passe-t-il dans ma tête ?
Et ma fine équipe, mes chroniqueurs, qui ne remarquent rien. Non seulement leur discours ne revêt plus aucun sens pour moi, mais personne sur le plateau ne semble s’apercevoir que quelque chose cloche avec moi. Suis-je à ce point virtuose dans l’art de dissimuler mon trouble ?
Une évidence finit par s’imposer : le problème vient de moi. Mon cerveau est tombé en panne. Il est aux abonnés absents. Court-circuit dans ma tête, en plein direct, et pas moyen de réparer. Cette panne sera-t-elle irréversible ? J’aime autant ne pas y réfléchir, pas le temps, j’ai d’autres chats à fouetter : l’émission n’est pas arrivée à son terme, loin de là, j’ai le devoir d’aller au bout dans cet état-là. Sans doute l’émission la plus longue de toute ma vie.
L’air de rien, zen à souhait, je fais le tour de tous les chroniqueurs, les échanges s’enchaînent à un rythme parfait, comme à l’accoutumée, à cette exception près de mon avarie.
Fin de l’émission. Ouf ! ce soulagement.
Je reste un peu, tout le monde discute, j’écoute chacun, cherchant le moindre indice d’un dysfonctionnement visible dans leurs regards. Mon trouble semble être passé inaperçu. Mais l’émission a beau être terminée, j’ai beau avoir conduit mon petit monde sans encombre jusqu’à destination, mes facultés, elles, me font toujours défaut. Je suis hors service. En dérangement. Mon cerveau a pris la poudre d’escampette et il n’est toujours pas revenu de sa fugue.
Il s’agit maintenant de rentrer à la maison. Tout un poème. Pour commencer, je ne trouve plus mes clés de voiture. Ensuite, je ne me rappelle plus où je suis garée. Résoudre ces deux énigmes me demande vingt bonnes minutes. Quand, enfin, je réalise cet exploit, je m’autocongratule : Bravo, Christine ! Tu mérites une médaille !
Tout n’est peut-être pas complètement grillé dans ma tête.
Autre bonne nouvelle, je sais encore conduire une voiture. Aussi bien qu’au jour de mon passage du permis, à dix-huit ans et quelques jours. Finalement, je m’en serais mieux sortie sur une véritable autoroute que sur l’émission de ce soir.

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