Destin

Avoir plus de rêves que de souvenirs
Auteur : Jean-Claude Darmon
Editeur : Fayard

« Le destin guide ceux qui l'acceptent et entraîne ceux qui résistent. » Jean-Claude Darmon n'a jamais oublié ces mots de Sénèque, qu'un ami lui avait confiés. Et pour cause, des résistances, il en a traversé, éprouvé, qu'il a payées au prix fort.
Imaginez un gosse d'orphelinat, un môme des rues d'Oran, propulsé à la présidence du Parc des Princes. Jean-Claude Darmon n'a pas seulement vécu, il a défié son destin !
Sans diplômes, mais avec un bagout irrésistible et une volonté de fer, il a bousculé les codes d'un monde très fermé. Il a bâti un empire made in France. C'est lui qui a inventé le marketing sportif, transformant le football en un spectacle fantastique, convainquant les clubs que la télévision pouvait être leur meilleur allié.
Jean-Claude Darmon, baptisé par tous The Boss, pour la première fois livre ses Mémoires extraordinaires. Il parle cash. L'homme aux mille vies, aux amitiés romanesques avec Delon, Belmondo, Johnny Hallyday, Ventura, Justo Fontaine, Pelé, Beckenbauer, etc.
Sa vie est un roman.
Son destin, notre mémoire des légendes.
Un rêve partagé.

21,90 €
Parution : 3 Décembre 2025
360 pages
ISBN : 978-2-2137-3385-2
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Extrait

Je ne crois pas me tromper. Si j’avais dû prévenir mon père qu’un ancien président de la République allait m’élever au rang de chevalier de la Légion d’honneur sur proposition d’un Premier ministre, il aurait probablement accueilli cette nouvelle avec le plus grand scepticisme.
« Tu es un rêveur, mon fils ! »
Je l’entends me rabrouer comme s’il était là, moquant mon mensonge, ma folie douce.
« Arrête, sinon tu vas voir ! »
Incrédule. Comme pressé que je mette fin à la blague et que je finisse par lui dire que c’était une bêtise, une bêtise de plus.
Comment aurait-il pu imaginer, le pauvre, que cela soit vrai, lui, le banquier déchu, le cordonnier d’Oran ? Comment aurait-il pu imaginer et croire que son fils puisse être fait chevalier de la Légion d’honneur quand il s’était toujours interdit d’avoir de l’ambition pour lui et les autres, que rêver, pour lui, était presque un péché, une perte de temps. Il ne pouvait pas se le permettre parce qu’il avait des bouches à nourrir, et nombreuses en plus de cela.
C’est pourtant vrai. C’est même officiel. Par décret du 13 juillet 2022, Emmanuel Macron approuve ma promotion et ma nomination dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Pour moi, c’est une consécration. Un graal que je n’espérais plus. Cette reconnaissance est tardive, un peu comme les vendanges. Elle n’en est que plus satisfaisante. Savoureuse, voluptueuse même.
À dire vrai, je n’ai jamais rien fait pour l’obtenir. Je l’ai même refusé une fois par le passé, parce que mon nom avait été proposé sur le contingent du ministère des Personnes handicapées. Je ne voulais pas que l’on reconnaisse mon action humanitaire, mais que la République salue ce que j’avais fait pour le sport.
Je ne me voyais pas quémander cette reconnaissance, intriguer auprès de mes amis, de vagues connaissances, pour qu’ils me l’obtiennent. « Mais pourquoi tu ne l’as jamais demandée ? » Combien de ministres des Sports, en découvrant que j’allais être décoré, m’ont fait cette réponse ! Je ne voulais pas demander. Il y avait là de l’orgueil, je le sais. Mais il fallait que cela vienne d’en haut ou de nulle part. Je m’étais fait une raison.
La République m’avait oublié et je ne lui en voulais pas outre mesure. Parfois, je me disais que j’avais été trop grande gueule. C’est vrai que je parle fort, que je crie parfois, et j’ai dû, tout au long de ma vie, me faire des ennemis dont j’ignore qu’ils le sont. C’est le prix à payer, la rançon du succès. J’ai bousculé les règles du jeu, inventé un métier. Je suis devenu le grand argentier du football français. J’ai suscité des jalousies. Créé des rancœurs.
Au ministère des Sports, ils ont été nombreux à souffrir de ma concurrence. Il n’y avait aucune chance pour que l’un d’eux suggère que la patrie me soit reconnaissante quand j’avais contribué, bien davantage que ce ministère, à développer le foot, le rugby, le sport. Peu importe… Je ne crois pas être rancunier. Les petits hommes gris ne m’intéressent pas. Je les laisse à leur médiocrité. J’ai d’autres choses à faire que de m’embarrasser de leurs états d’âme.
Il aura fallu une discussion dans les travées du Parc des Princes pour que Jean Castex, alors Premier ministre, découvre que je n’avais pas la Légion d’honneur. À quel match assistions-nous ? Je crois que c’était pour la première apparition de Lionel Messi sous les couleurs du Paris Saint-Germain. La foule des grands jours avait pris place dans les tribunes du Parc. Tout le gratin se pressait dans les loges : d’anciennes gloires du football comme Raï, Luis Fernandez ou encore Leonardo, des passionnés, des fondus de foot qui, comme moi, ne loupent pas une rencontre et encore moins celle-là. Kev Adams, Yannick Noah, Tony Parker, comptaient parmi ceux-là. Il y avait bien sûr, comme une évidence, Nicolas Sarkozy, pilier de la tribune présidentielle, premier supporter du PSG. Lui aussi était persuadé que j’avais été fait de longue date chevalier de la Légion d’honneur.
« Bien sûr que tu l’as déjà. Pour tout ce que tu as fait pour le rugby, tentait de se convaincre le Premier ministre.
– Mais non, Jean ! Pour tout ce que Jean-Claude a apporté au football », le coupa Nicolas. Je devais avouer, presque confus, que je ne l’avais pas… Ni pour mes services rendus au football ni pour le rugby. Ma veste était vierge de toute barrette à la boutonnière… Et en plus de cela, Nicolas m’engueulait parce que je ne lui avais pas demandé de me l’accorder.
C’est comme cela que, quelques mois plus tard, je devais apprendre que je faisais partie de la prochaine promotion de la Légion d’honneur, sur proposition du Premier ministre. Mon père eût été encore vivant qu’il m’aurait traité de « mytho », j’en suis sûr. Dieu que j’aurais aimé qu’il voie ça. Dieu que j’aurais aimé que ma mère verse sa larme. J’aurais aimé que mes amis voient ça. Johnny Hallyday, mon ami et mon frère, bien sûr, Jean Sadoul, l’un des patrons du foot français, sans qui je n’aurais pas été celui que je suis devenu, Robert Budzynski, le dirigeant du FC Nantes, et combien d’autres encore… Thierry Roland, Lino Ventura, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo…
À mon âge, malheureusement, c’est le temps où l’on biffe les noms des copains dans les carnets d’adresses, où l’on pleure les absents. Ils reviennent dans mes rêves pour me tenir compagnie les rares heures où je dors. Je n’ai pas le goût du sommeil. Il sera bien temps plus tard de se coucher pour mourir.
Mais j’ai trop à faire pour m’embarrasser de mes souvenirs. La vérité ? J’ai plus de rêves que de souvenirs. C’est ce qui me tient debout, vivant. C’est mon moteur depuis toujours. Mais comment parfois ne pas jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Pour voir le chemin parcouru. Moi l’enfant de là-bas. Le gamin d’Algérie, le petit juif d’Oran. Le Petit Chose débarqué à Marseille sans bagage, « l’enfant déraciné », dira de moi Nicolas Sarkozy au moment de me remettre la Légion d’honneur, « le jeune homme illégitime » que je suis demeuré, comme si j’avais toujours tout à prouver. Comme si c’était le secret de ma vie, de ma réussite, de mon destin.
C’est pour cela que j’écris à nouveau aujourd’hui. Parce que le jeune homme illégitime que j’étais s’est construit malgré les obstacles. À cause des obstacles. Je n’ai pas fait d’études. Je n’ai aucun diplôme. Je n’avais pas un sou en poche. Je n’avais personne sur qui compter, sinon sur cette envie d’entreprendre, d’être maître de mon destin et de ne pas subir, personne pour m’ouvrir les portes, mais de l’énergie à revendre pour les fracasser et me frayer un chemin.
De ces faiblesses, diront certains, j’en ai fait une force. Je ne me suis rien interdit. Surtout pas de rêver plus grand que moi.

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