La réparation volontaire

Auteur : Corinne Tanay
Editeur : Grasset

« Emilie, tu aimais la mer et courir sur le sable. Tu étais belle, élancée, vive, attachante.
Une petite fille dans la grâce de ses neuf ans. Jusqu'à ce jour affreux.
Vingt-cinq ans plus tard, je n'en finis pas de t'aimer. Tu n'es ni un sujet de conversation ni un sujet de presse, tu es ma fille.
Si le chagrin ne passe pas, la douceur de tes yeux.
Contre vents et marées, j'ai continué à vivre jusqu'à me poser sur un rivage apaisant.
Roger Merle, mon avocat et ami, n'a pas ménagé son temps pour me guider.
Des années plus tard, il me manquait des réponses.
J'ai décidé d'aller à la rencontre de celui qui a été condamné pour ton meurtre.
Le temps était venu de se parler, de partager nos doutes, de s'écouter.
La réparation volontaire est complexe, exigeante.
C'est ce parcours que je raconte aujourd'hui.
Les hommes peuvent changer le monde pour éviter des drames futurs.
Je suis vivante. »

19,00 €
Parution : Novembre 2019
304 pages
ISBN : 978-2-2468-1834-2
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Extrait

Ces vingt-cinq dernières années, j’ai appris que les êtres vigoureux renaissent des épreuves les plus douloureuses. Il semble que je sois l’un d’entre eux. Ce livre est le fruit d’une initiation, de plusieurs années de réflexion sur la criminologie, la sanction pénale, la punition, l’inaction de la Justice pour comprendre les victimes, le double sens de la peine, la complexité et les contradictions de l’institution judiciaire, la responsabilité de la société civile, l’indulgence, la théologie, les hommes, la littérature.


L’événement dont j’ai le plus entendu parler au cours de ma jeunesse est la Seconde Guerre mondiale. J’ai reçu de ma grand-mère maternelle un livre pour mes quinze ans. Journal d’Anne Frank, une édition de 1950 parue chez Calmann-Lévy. Anne avait treize ans. Elle a écrit un journal intime pour confier ses rêves, ses peurs, sa vision de la guerre : « Mais parlons sérieusement. Dix ans après la guerre, ça pourrait faire un drôle d’effet, mon histoire de huit juifs dans leur cachette, leur façon de vivre, de manger et de parler. »
Le 4 août 1944, le journal d’Anne s’achève. La feld-polizei fait une descente dans l’annexe. Anne meurt dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en mars 1945. Aucun de ses rêves ne se réalisera, mais son journal intime a traversé le temps.
Plus tard, je lis Primo Levi et prends conscience de l’ampleur de la catastrophe. Ces témoignages ont marqué mon esprit. Ma génération a été élevée en sachant que l’extermination des Juifs était une réalité.
Ce n’est qu’à la fin de sa vie que ma grand-mère maternelle s’est mise à raconter la guerre. Petite fille, je ne me rendais pas compte de certaines angoisses de mes grands-parents.

Le chaos et le mal racontés par les miens me semblent loin. La France et l’Allemagne sont alliées. Beate et Serge Klarsfeld chassent les nazis. Mai 68 est passé. Simone Veil obtient l’IVG. Le mur de Berlin n’est pas encore tombé. Dans la bibliothèque de ma grand-mère, je découvre Simone Weil, Simone de Beauvoir, Céline, Duras, Yourcenar, Anaïs Nin, Henry Miller, Sagan, Albertine Sarrazin, Benoîte Groult. Ma grand-mère était dans la vie. Elle aurait aimé étudier, les livres compensaient sa frustration. Mon grand-père n’a pas fait de grandes études. Après le certificat d’études, il avait été envoyé à l’usine. Plus classique dans ses goûts, il admirait Victor Hugo. J’étais blottie contre lui, et il me lisait des extraits des Misérables. Les enfants adorent que les adultes leur fassent la lecture. Je découvre Montaigne, Pascal, Montesquieu, Diderot. Je lis L’Étranger d’Albert Camus, Sartre, Henry James, Edith Wharton, Emily Dickinson. Ma personnalité se dessine.
La France est secouée par des faits divers. J’ai en mémoire l’affaire Ranucci et celle de Patrick Henry. Ranucci ne sera pas gracié par le président de la République. Patrick Henry échappe à la guillotine par la plaidoirie sobre et efficace de son avocat.
Robert Badinter se bat pour l’abolition de la peine de mort. J’adhère à son projet. À mes yeux, il est une affirmation de ce qui ne doit plus se produire. Est-ce que la peine capitale remplace la vie d’un autre ? Trancher la tête d’un criminel, une barbarie.
« La peine de mort, précisément parce qu’elle est rarement prononcée et exceptionnellement exécutée, est l’alibi des bonnes consciences, la justification morale des léproseries pénitentiaires. Après tout, mieux vaut être vivant et lépreux que mort. » Robert Badinter, L’Express, 4-10 décembre 1972.
Dans un acte de conscience éclairé, mon identité citoyenne se met en place. L’abolition de la peine de mort ne pouvait qu’offrir la paix entre les hommes. Si la France y parvenait, d’autres pays devraient l’envisager.
En 1981, François Mitterrand est élu président de la République. L’excitation de la population, l’euphorie de ses électeurs dégagent la perception d’un avenir propice à plus d’égalité sociale. L’espoir renaît.
Sur les bancs de l’école, les livres d’histoire étaient illustrés de l’invention du docteur Guillotin. Une machine à tuer pour semer la terreur, et plus tard punir les criminels en les menant à l’échafaud. Depuis la nuit des temps, l’homme n’a pas manqué d’imagination pour infliger des sévices corporels jusqu’à la peine capitale sous prétexte de punir ou avilir.
Je m’engage dans la défense des droits de l’homme et des actions humanitaires. Je revendique mon attachement au socialisme sans être encartée.
La vie est douce. Je tombe amoureuse, je me marie, je deviens mère.
Mon enfant ouvre un espace enchanté dans ma vie. Elle grandit, chante, danse, lit, peint, sculpte. C’est un vrai moulin à paroles. Elle s’épanouit avec des idées résolument sophistiquées pour son âge. Elle reflète une sensibilité vive, une surprenante sagesse. Elle ne supporte pas l’injustice. Si l’un de ses camarades est puni injustement, elle monte au créneau pour le défendre. Elle est tournée vers l’autre. Elle va s’intéresser à la vie de Jésus.
Athée, je fais l’effort de me soumettre à sa quête. Chaque jour, elle déploie une énergie incroyable à vivre sa vie d’enfant. Elle me suit dans les manifestations, les colloques. Elle pose une multitude de questions. Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ?
Elle est fière de participer à un projet d’école en Amérique latine. Entièrement dévouée à sa tâche, elle collecte des gommes et des crayons auprès de son entourage. Elle distribue des tracts. Elle voudrait tout lire, tout voir, tout apprendre. Pour ma part, sa soif de connaissance est une réponse à sa vie arrachée trop tôt.
J’ai trente-trois ans. J’évolue dans une harmonie et une confiance sans cesse renouvelées. La tragédie approche. Ma fille va mourir, assassinée. Qui est capable d’imaginer que la vie et le bonheur sont un château de sable ?
Avant ce drame, je n’ai pas connu ni ressenti la peur véritable. Ma perception du danger se limitait à des sociétés instables dans des pays où les citoyens sont privés de leurs droits et de la liberté. Des pays qui répandent la famine, l’esclavage, la dictature.

La mort de ma fille prendra la dénomination de crime.
Plus jamais, mon monde ne sera le même.

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