Le temps de la vérité

Carlos Ghosn parle
Auteur(s) : Carlos Ghosn, Philippe Riès
Editeur : Grasset

Le 30 décembre 2019, Carlos Ghosn est devenu le fugitif le plus célèbre de la planète, quand le monde entier a découvert, à la une des journaux, que l’ancien patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi avait réussi à s’échapper du Japon, où il était en résidence surveillée, après avoir été embastillé 130 jours au centre de détention de Kosuge, à l’issue d’une arrestation surprise le 19 novembre 2018.
Avec ce livre-événement, l’opinion publique internationale va enfin pouvoir comprendre les tenants et aboutissants de ce drame.
-Une tragédie personnelle et familiale : le grand patron révéré au Japon pour avoir sauvé Nissan de la faillite en 1999, celui qui a permis à Renault d’obtenir les meilleurs résultats de son histoire, est transformé du jour en lendemain en paria, arraché au monde et à sa famille. Et victime d’une violente campagne de diffamation orchestrée mondialement par le ‘’Vieux Nissan’’ et le bureau du procureur de Tokyo.
-Une tragédie industrielle : l’Alliance, premier constructeur automobile mondial en volume en 2017 et 2018, est décapitée, plongée dans une crise profonde, les actions des entreprises massacrées en bourse, au moment même où l’industrie automobile mondiale fait face à une révolution technologique sans précédent.
-Un thriller politico-judiciaire : cette affaire implique au plus haut niveau le pouvoir politique au Japon et en France et décrit un système judiciaire nippon plus proche de celui d’un pays totalitaire que d’une démocratie avancée. L’enjeu est l’avenir d’un ensemble industriel employant plus de 450.000 personnes dans le monde, dans 120 usines.
Des motifs du coup d’État interne ayant conduit à la chute de Carlos Ghosn à la question de sa rémunération, de ses méthodes de management en passant par sa vision de l’avenir de cette industrie majeure, toutes les questions sont ici abordées. Pour comprendre ce qui s’est déjà passé et peut encore se passer. Le Japon officiel a ouvert la chasse à Carlos Ghosn. Il présente ici sa vérité.

19,00 €
Parution : Novembre 2020
220 pages
ISBN : 978-2-2468-2417-6
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Extrait

19/11

Pour Joseph R., ainsi que la presse française l’identifiera plus tard, ce lundi 19 novembre 2018 est une journée de travail particulière, comme à chaque fois que « M. Ghosn » arrive pour une de ses visites régulières au Japon.
Depuis dix-sept ans, cet informaticien est chargé du « support technique du président ». Seul dans l’Alliance à être salarié de Nissan, de Renault et de Mitsubishi, il doit veiller, à Yokohama comme à Billancourt, mais aussi à Tokyo, Paris, Beyrouth et Amsterdam, à ce que l’informatique au service du patron de l’Alliance fonctionne sans « bugs », et dans des conditions optimales de sécurité.
Très tôt le matin, Joseph R. est au siège de Nissan à Yokohama, où son bureau fait aussi office de dépôt de matériel informatique, afin de prendre les équipements dont il aura besoin pendant le séjour du patron. « J’ai reçu un courriel de Christina Murray : Hari Nada veut te voir cet après-midi, à 16 h 30 ou 17 h 00 au plus tard. » Le message de l’Américaine, responsable de l’audit interne et de la conformité chez Nissan, surprend son destinataire. Elle ne fait pas partie de la chaîne de commandement dont dépend Joseph R. Pas plus au demeurant que Hari Nada, alors en charge du « CEO Office », la structure horizontale qui entoure le directeur général.
Un peu plus tard dans la matinée, l’informaticien reçoit un courriel de Maya, la plus jeune des trois filles de Carlos Ghosn. L’internet ne fonctionne pas à la « résidence », l’appartement de fonction que Nissan met de longue date à la disposition de son PDG dans une tour du quartier de Azabu baptisée « le champignon » par les Tokyoïtes. Maya, qui vit aux États-Unis, est en visite à Tokyo.
« J’y étais passé le vendredi précédent mais je n’avais pas vérifié l’internet réservé aux hôtes. J’y retourne et constate que le routeur est mort. Il faut le changer. Je le signale par courriel à Ohnuma, qui est mon supérieur hiérarchique direct. » Depuis 2012, Toshiaki Ohnuma est en charge du secrétariat de Nissan, avec rang de vice-président. « Cet équipement est à usage privé, et il sera donc refacturé à Carlos Ghosn », précise Joseph R.
Mais l’incident technique lui fait perdre pas mal de temps. Difficile d’être de retour à Yokohama à l’heure fixée par Nada. Message à Christina Murray : « Je ne pourrai pas être au rendez-vous à 16 h 30. Nous nous verrons mercredi. » Le mardi 20, l’informaticien doit passer toute la journée au siège de Mitsubishi Motors avec Carlos Ghosn, qui en préside le conseil d’administration et dont il a orchestré et surveille le redressement. La réponse arrive instantanément : « Hari Nada doit impérativement te voir ce soir. » Joseph R. répond que cela devrait être possible, mais pas avant 17 h 00. Réponse : « OK. Fais le maximum pour être à l’heure. »
En fait, il sera de retour à Yokohama à 16 h 30. Vers 16 h 45, la porte du bureau s’ouvre brutalement et entre un homme âgé, l’air visiblement affolé. C’est le chauffeur habituel de Carlos Ghosn, avec qui Joseph R., qui maîtrise parfaitement le japonais, entretient une relation amicale. Il dit seulement : « Yabai, yabai », une expression très familière que l’on traduirait en français par « ça craint ». Avant de repartir aussitôt.
« Chaque fois que Carlos Ghosn atterrissait à Tokyo, je recevais les iPad qu’il utilise en déplacement par l’intermédiaire du chauffeur. Je décide donc de monter au vingt et unième étage, pour récupérer le matériel qui a dû être déposé dans le bureau du président. Fumiko, l’assistante personnelle de Carlos Ghosn, est pétrifiée en me voyant entrer dans l’antichambre qui conduit au bureau présidentiel : “Que fais-tu là ? Tu ne devais pas voir Hari Nada ?” Comment pouvait-elle le savoir et à quel titre ? Elle a insisté : “Tu vas bien voir Hari Nada.” » Oui, mais le rendez-vous est désormais à 17 h 00.
Les « hommes en noir » au siège de Nissan

À 17 h 00 précises, quand Joseph R. se dirige vers le bureau de Hari Nada pour se présenter à son assistante au vingt et unième étage du siège de Nissan, il est témoin d’une scène effarante. Cet espace, dont l’accès est strictement contrôlé, a été envahi par une cohorte d’hommes et femmes, souvent jeunes, uniformément habillés de noir. « Dans les couloirs, il règne une effervescence incroyable, créée par la présence de tous ces inconnus », se souvient-il.
Joseph R. est ensuite conduit dans une salle de réunion utilisée habituellement par Hiroto Saikawa, le directeur général japonais que Carlos Ghosn a placé à la tête de Nissan en 2016. « Trois personnes sont entrées. Je reconnais Hari Nada, encadré par une femme dont j’apprendrai plus tard qu’elle était Christina Murray et Ruy Kamei, le chef de la sécurité. »
À peine dans la pièce, Hari Nada demande à Joseph R. de lui remettre son téléphone personnel. « À ma question “que se passe-t-il ?”, il feint la surprise. “Ton chef a été arrêté. Il a fait des choses très graves et tu dois participer à l’enquête. Les autorités vont te prendre en charge et tu feras ce qu’elles te demanderont.” » L’informaticien sera ensuite conduit dans une autre salle, dont la porte est gardée par un des agents de sécurité employés par Nissan.
À peu près à la même heure, c’est par une voix différente que les cadres dirigeants du constructeur japonais vont apprendre la nouvelle qui va bientôt se diffuser à travers toute la planète.
Depuis le début de l’après-midi, le comité des opérations de Nissan est réuni au siège de Yokohama. Il s’agit d’une instance élargie, autour des principaux membres du comité exécutif de l’entreprise, le directeur général Hitoro Saikawa et les quatre « chefs » en charge des fonctions clefs (performance, planning, compétitivité et finances).
« Il devait être à peu près 16 h 30, quand Saikawa a demandé que la séance soit interrompue et que seuls les membres du comité exécutif le rejoignent dans son bureau », se souvient José Munoz, vice-président en charge de la performance globale et par ailleurs président de Nissan North America, dont il avait porté les ventes à un niveau record en 2016 et 2017.
« L’ambiance dans cette réunion du comité opérationnel n’était pas bonne. Très tendue. Une chose m’a frappé, Arun Bajaj était assis en face de moi. Pendant une pause, peut-être même avant que Saikawa ne nous convoque dans son bureau, Arun a disparu. Et je ne l’ai jamais revu, jusqu’à aujourd’hui. » On apprendra plus tard que Bajaj, directeur des ressources humaines de Nissan, avait été brutalement « mis en congé » par Hari Nada.

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