Je voulais vivre: Milady n'est pas une femme qui pleure... Elle est de celles qui se vengent
C'est une petite fille traquée qui garde secrète la mort terrible de sa mère et de sa nourrice. Et c'est une enfant fière, poétique, qu'un prêtre plein de bonté décide de sauver.
C'est une jeune fille assoiffée de connaissances et de lectures qui apprend à monter à cheval puis à se battre à l'épée malgré l'avis des religieuses qui l'éduquent. Depuis toujours, elle porte, dans son corsage, un poignard et des poisons, car il faut savoir se défendre pour être libre.
C'est une amante passionnée, trahie, aimée, ambitieuse. Et c'est une mère, aussi, prête à tout pour son fils. On dit qu'elle est puissante, entre deux royaumes, pourtant elle reste incomprise.
Vous croyez la connaître ? C'est l'héroïne la plus célèbre de la littérature, enfermée à jamais dans ce rôle éternel : intrigante, empoisonneuse, séductrice, génialement criminelle. Sorcière. Elle s'appelle Milady.
Voici venu le temps d'écarter la légende pour rencontrer la femme. Même un personnage de fiction a droit à sa vérité. Dans ce roman inoubliable, Adélaïde de Clermont-Tonnerre rend vie à la petite Anne et nous offre son histoire dont Dumas a semé les indices dans Les trois mousquetaires, sans prendre le temps de la raconter.
La construction extrêmement habile se joue de tous les codes romanesques du XIXème siècle, pour les revisiter d'une voix puissamment contemporaine. Alternant les témoignages et les époques, dans une succession de courts chapitres palpitants, il recompose un puzzle d'intrigues politiques et amoureuses qui nous conduisent au coeur des affrontements opposant les royaumes d'Europe au temps de Louis XIII et de Richelieu.
Se révèle ainsi le portrait d'une héroïne menant, pour sa survie, un jeu dangereux. Dans une époque où tant d'hommes voudraient la contraindre et la posséder, elle se bat - jusqu'à la transgression ultime - pour son pays, pour son idéal et pour sa liberté.
Extrait
Armentières, septembre 1628
Elle hurle. Ou du moins veut le faire. Mais aucun son ne sort de sa bouche. Dans la nuit, elle vient de distinguer, collé à la vitre, un visage d’une beauté sinistre. Le visage d’un homme qu’elle a aimé à se damner avant de le craindre de tout son être. Elle sent ses muscles se raidir. L’étouffement la saisit. Il faut se lever, courir, mais elle reste immobile, son cœur affolé, prise au piège. Elle entend le bris de glace, regarde, médusée, la main qui plonge à l’intérieur de ce lieu qu’elle croyait sûr. La main dont la finesse aristocratique, malgré les cicatrices de ses combats, ne laisse pas soupçonner la puissance. Cette main qu’elle connaît : caressante un temps, puis meurtrière. Le bras ensuite, d’une détermination implacable, s’allonge vers la poignée et tente de l’ouvrir. Comme la crémone résiste, le bras se retire. Elle voit l’homme escalader le rebord de la fenêtre. Dans un bruit effarant, il fait céder la croisée d’un coup de genou, projetant des morceaux de bois et de verre jusqu’au milieu de la pièce. Sa tête apparaît, ses épaules, tout son corps, puis ses semelles de cuir claquent lorsqu’il atterrit sur les tomettes. Il se dresse à moins de trois mètres. Grand, tellement plus grand qu’elle.
Le front haut, les yeux admirables et cernés, des cheveux châtains descendant aux épaules, Olivier de La Fère la domine de toute sa force. Sous son épaisse veste noire à col montant, entrouverte sur une chemise blanche qui laisse apparaître la naissance de son torse, elle distingue le manche ciselé d’un poignard. Ce bref éclat, sous le tissu, la tire de sa sidération. Au prix d’une énergie dont elle ne se pensait pas capable, la jeune femme se précipite vers la porte opposée qui mène à la rivière. En tirant brusquement le battant, elle étouffe un cri. Cette issue n’en est pas une. Là, plus pâle et plus menaçant encore que son acolyte, un deuxième homme. Elle le reconnaît et recule vivement. Vingt ans à peine, maigre, les pommettes hautes et les yeux perçants, il a encore, sous sa fine barbe, des lèvres pleines et la mine enfantine, mais la jeunesse ne confère aucune douceur à son expression. Lui aussi l’a aimée. Lui aussi lui a fait des serments avant de venir la traquer ici. Il tire un pistolet de sa ceinture. Déjà il la vise.
« Range cette arme, d’Artagnan. Cette femme sera jugée, pas assassinée. Sois patient, tu auras satisfaction. »
Olivier parle d’un ton solennel, avec ce calme impérieux qui lui confère l’ascendant sur ses camarades. Un calme dont elle connaît les failles. Elle sait. Il sait. Que la surface de marbre peut se fracturer d’un coup. Ni l’un ni l’autre n’ont oublié ce dont Olivier est capable. C’était il y a presque dix ans, mais par cette nuit froide et sans lune, dans une maison de passage en lisière des bois, le cauchemar recommence. Il ravive entre eux le souvenir d’un autre temps et d’une autre forêt. Elle tremble, les poings perdus dans les replis de sa robe bleue. Elle a le sentiment d’assister à la scène plus que de la vivre. Comme si elle leur abandonnait déjà ce corps chiffon, ce corps matière, tandis que son esprit, hors de portée, reprend sa course folle.
S’enfuir. Par tous les moyens. Ils vont la tuer. Derrière Charles d’Artagnan entrent à présent Isaac, colossal, et Henri, dont les manières et la mise cachent un ennemi redoutable. Ils sont suivis de cet Anglais exécrable, Percy de Winter, ce prétendu lord qui l’a séquestrée des jours durant. Ce fou vindicatif à qui elle vient d’échapper après avoir puisé au plus profond de ses ressources, de son intelligence, de sa volonté. S’enfuir… mais apparaît un homme dont le visage est dissimulé sous la capuche de son long manteau rouge, puis les domestiques qui rejoignent leurs maîtres. Elle les compte. Quatre serviteurs. Eux aussi bloquant les ouvertures. Eux aussi menaçants, résolus. Elle les compte de nouveau. Ils sont dix et elle est seule. Dix soldats rompus à l’art de la guerre. Contre leurs flancs, le fourreau des épées dont ils vont la transpercer. Elle lit sur leurs lèvres, dans leurs yeux, l’excitation des chasseurs. Elle scrute la pièce, cherchant un couteau, un tison, n’importe quel objet qui puisse l’aider à se défendre, mais ils se groupent autour d’elle en un cercle infranchissable. Dans son dos, le mur. Partout leurs épaules, leurs masses, leurs doigts qui l’attraperont, leurs bras qui la mettront à terre pour la soumettre, l’humilier, l’offenser, la salir.
Olivier fait un pas vers elle, se détachant des autres. Elle se replie, voûtée, mais maintient sur lui son regard translucide, prête à encaisser les coups. Il déclare, avec l’air d’un juge qui ouvre un procès :
« Nous demandons Charlotte Backson. »