Les caractères

Auteur : Lison Daniel
Editeur : Grasset

Isabelle, grande bourgeoise confinée à Saint-Lu, est dépassée par l’intendance de ses trois résidences secondaires, et par son mari en pleine crise identitaire. Franck, caviste bio radical et passionné, refuse de vendre un saint-émilion à un client qui voudrait « impressionner beau-papa ». Mélanie, Marseillaise à sang chaud, maltraite les touristes parisiennes qui ont le malheur de s’installer sur son rocher. Et qu’adviendra-t-il d’Adélaïde, tombée éperdument amoureuse de Livio, son épicier italien ?
Tous ces personnages sont écrits, pensés et joués par Lison Daniel sur sa page Instagram « Les Caractères ». Chacun a son vocabulaire, sa diction et son histoire qu’on suit de scène en scène. On rit aux éclats et avec tendresse devant ces archétypes, on s’attache à eux et, parfois, on s’y reconnaît. Follement douée, l’autrice fait vivre ses protagonistes phares et frappe par la justesse de son regard. C’est un portrait vif et ludique de la France d’aujourd’hui qui se dessine en creux : une France fragmentée de sa diversité régionale, culturelle et sociale. Un livre à mettre entre toutes les mains.

18,00 €
Parution : Novembre 2022
180 pages
ISBN : 978-2-2468-3242-3
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Extrait

Gaëtan
(un cours de théâtre)
Ok, merci, ça suffit, on arrête le massacre. Attends, Maxence, reconvoque-toi s’il te plaît.
« Je demeurrrais longtemps errrrrant dans Césarrrrée »… Y’a rien qui t’interroge sur la rythmique ? Ceux qui ont suivi le module Racine avec moi, rien ? Ouiii merci ! « Je demeurais / longtemps / errant / dans Césarée » : 4/2/2/4, merci Samia, je commençais à avoir peur là, sincèrement. Ce vers, il te raconte l’enfermement, Maxence : Antiochus il est enfermé dans son amour pour Bérénice, c’est pas moi qui le dis, c’est juste un grand poète en fait.
Donc, merci Juliette, tu peux te rasseoir. Maxence, exercice : tu te mets à jardin ? Jardin ! Merci.
Tu es dans une boîte, tu es le roi de Commagène et tu es dans une boîte, une petite boîte, une toute petite boîte dans le désert d’Orient, d’accord ? Fais-moi une boule, une boule, une boule, une boule, une boule, voiiiilà, une boule ouiii ! Mais tu ne peux pas sortir, c’est petit, c’est étroit, tu es empêché, tu es entravé, tu es contraint, OUI OUI, tes coudes Maxence !
Ne me le commente pas, ne me le montre pas. La boîte se resserre, c’est ton cercueil, c’est ton suaire, cet amour. Maintenant TEXTE TEXTE TEXTE ! OUIIIII OUII. VOILÀÀÀ !
Est-ce que tu comprends ce qui vient de se passer ? Pardon, tu respires mal ? Tu veux dire comme quelqu’un qui ne serait pas aimé en retour ? Voilà Maxence…

Marina/Candra
Namasté… Remerciez-vous pour le temps que vous avez consacré à votre pratique et à votre intériorité. Hydratez-vous. Et belle journée. Au revoir. Au revoir.
Oui Delphine, dis-moi. C’est Sirsasana qui te pose problème ? Tu as peur de monter sur la tête, oui… Je comprends. Tu sais, toute la symbolique de la contre-posture de Sirsasana c’est de changer de point de vue, de se mettre la tête à l’envers. C’est pas rien pour le corps. Si tu ne te sens pas aujourd’hui d’aller chercher Sirsasana, c’est peut-être que quelque chose en toi résiste au changement, tu vois ? Trouve ce que c’est d’abord, et n’impose pas ton ego à ton corps. Moi, y’a une phrase qui m’aide beaucoup, c’est « Ne préfère pas la réussite à ce que tu fais ». C’est pas moi, hein, qui le dis, c’est Krishnamurti. Mais c’est ça, le yoga. C’est trouver l’équilibre, tu vois ?
Après pour la technique, il suffit de mettre tes bras en triangle, à la largeur de tes avant-bras, tu poses le vertex perpendiculaire sur le sol, 20 % du poids sur la tête et 80 % dans les bras. Je te montre. Engage les trois bandhas, tends les jambes, contracte les fessiers, relâche la mâchoire, respire très profondément, et tu montes. D’accord, Delphine ?

Rebecca
Ça va meuf ? J’suis au taff, je me fais siii chier, c’est un enfer. Ah bon, t’es chez toi ? Mais t’es malade ? Ah les grèves… C’est vrai que t’es en banlieue toi. Mais c’est si chiant que ça ? J’sais pas meuf, j’vis dans le 3, j’bosse dans le 4, comment te dire en fait à quel point je m’en branle. HAHAHAHA j’avoue, je suis honteuse, ça se fait pas de dire ça. Les pauvres gens.
Ben ce matin, j’ai répondu à des mails, après j’ai fait genre semblant de faire des recherches pour ma n+1, après… Ah ! J’ai bouffé avec Chloé ! Ouais ça va… Elle était moche ! À chaque fois je me dis ça en hiver, elle est moche Chloé. T’sais, on dirait qu’elle dort sous son lit et pas dans son lit, tu vois ou pas ce que je veux dire ? HAHAHA, j’ai envie de lui dire « Meuf le Point soleil et les brosses à cheveux, ça existe en fait, juste pour info ». Et après bah rien, je me faisais chier donc je t’appelle. Ah tiens ! Tu veux pas faire une fish pédicure avec moi à 17 heures ? Ah oui c’est vrai, la grève… Oh ça va meuf, t’es monocentrée sur tes petits problèmes là ! Arrête, fais gaffe, on dirait ta mère.
Bon allez, je bouge, j’ai des trucs à faire. Bisouuuuu.

Julien
(il danse en boîte de nuit)
Putain sérieux, qui mieux que nous là ? Oh Laeti ! Ton cocktail il fracasse il est mythique ! Vraiment hein ! Bravo !
Frère, j’voudrais te proposer un truc, mais c’est confidentiel, j’peux te faire confiance ? Ouais, c’est business. En fait jt’explique, j’ai fait des recherches, et en gros dans deux ans y’a un truc qui va exploser, tout le monde il va parler que de ça ; ça s’appelle la data. Tu vois ce que c’est ?
En gros c’est des informations, mais d’Internet. Des informations genre euhhh, qui fait quoi qui mange quoi eeuuuhh, mes couilles euuh… Des informations ! D’abord faut les obtenir, mais bon ça, ça va et après tu les monétises, mais très, très cher. En gros t’y as la data t’y es le roi, voilà.
Mais faut qu’on soit les premiers sur le coup, tu vois ce que je veux dire. Sinon ça sert à rien.
Laeti, tu me remets la même chose steuplaît ? (il lui fait un clin d’œil)
Quoi « concrètement comment on fait ? », pourquoi tu prends la tête direct ? T’sais quoi, moi j’te donne l’opportunité d’être riche, ça t’intéresse pas, va te laver le cul ok ?

Astrid
(à l’antenne, d’une voix maniérée) « Le Je que nous sommes, le Nous que je suis »… Cette réflexion hégélienne, Melis Aydin aurait pu en être l’auteure. Aussi loin que je m’en souvienne et depuis que je suis littérairement active, Melis a toujours fait partie de ma vie. Elle a décrit les regrets de mon enfance, les tourments de ma jeunesse, et mes tergiversations de jeune femme. Des conjonctures assourdissantes et des ellipses évocatrices qui n’ont jamais cessé de résonner en moi. Mais avant d’aller plus avant, écoutons avec elle Shilela de Hailu Mergia.
(hors antenne) Bon Melis, super. Juste je sais pas si on t’a prévenue, mais moi j’ai l’habitude de bousculer un peu mes invités pour provoquer l’émotion, donc s’il y a quelque chose que tu veux pas évoquer, genre la mort de ta mère, faut me le dire. Ta boulimie, c’est délicat ? Non, au contraire, tu fais bien de me dire. Non, non, tu fais bien de me dire. On s’y remet.
(à l’antenne, même voix minaudée) C’est l’imposante, la pulpeuse, l’adipeuse Melis Aydin qui nous accompagne ce soir. Melis, vous me parliez pendant la chanson de vos troubles alimentaires. Où en êtes-vous de votre rapport à votre corps ?

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