Notre homme à Washington: Trump dans la main des Russes
Le 5 novembre prochain, Donald Trump sera de nouveau candidat à la présidence des Etats-Unis. Or il semblerait que l'homme soit depuis des décennies sous l'influence de Moscou. La première puissance occidentale sera-t-elle bientôt dirigée par un président « tenu » par une Russie en plein bras de fer avec l'Occident  ?
Dans les années 1970, le KGB constate son retard dans le recrutement de sources. Aux Etats-Unis, il repère puis cultive un jeune développeur immobilier new yorkais ambitieux et sans scrupules : Donald Trump. Une cible toute désignée pour en faire un agent d'influence, objectif probablement atteint lors d'un premier voyage à Moscou, en 1987. A son retour, Trump prend des positions publiques critiquant l'OTAN, tout à fait dans la ligne du Kremlin.
Les services russes lui apportent des soutiens financiers discrets mais salutaires, par une ribambelle de mafieux soviétiques, d'espions et d'oligarques. Tous soutiennent Trump, souvent sans que l'intéressé comprenne les raisons de cette sollicitude. A chaque fois qu'il frôle la faillite, de généreux mafieux achètent des appartements dans ses Trump Towers ou investissent dans ses projets immobiliers. Ces sauvetages occultes laissent des traces d'argent russe, notamment à travers le rôle trouble de la Deutsche Bank.
L'incroyable campagne électorale de 2016 confirme les soupçons d'accointance du candidat avec le Kremlin  : membres de son entourage en contact étroit avec les Russes, financements douteux, plus-value de 56 millions de dollars sur la vente de sa demeure à Palm Beach à l'oligarque Dmitry Rybolovlev, piratage de milliers d'emails de la candidate Hillary Clinton, etc. De fait, le président Trump  se montre conciliant avec Moscou : il flatte Poutine, réitère sa volonté d'anéantir l'OTAN, prend des positions illibérales... La campagne actuelle va dans le même sens, Trump se déclarant prêt à cesser tout soutien à l'Ukraine.
A travers de solides recherches documentaires et des interviews sur le terrain, Régis Genté passe au crible les nombreux indices qui tendent à prouver que Trump est l'homme des Russes. Avec son élection, Poutine peut espérer l'arrêt du soutien américain à Kiev. Il en découlerait une victoire russe en Ukraine aux conséquences incalculables pour le monde libre. Si Trump est l'homme des Russes, il pourrait bien être le fossoyeur de l'Occident démocratique.
Extrait
1977-1987
Premiers contacts
Au milieu des années 1970, à peine trentenaire, déjà ambitieux et narcissique, Donald Trump n’est pas encore le personnage sans tabou ni surmoi que l’on connaît aujourd’hui. Costume cravate, sourire carnassier et tignasse pas toujours maîtrisée, le jeune homme est largement sous l’emprise de son père, Fred, entrepreneur à succès. Né en 1905 à New York, dans le Queens, Fred Trump a consolidé la fortune que son propre père, Frederick, immigré allemand, avait déjà commencé à constituer.
Le Queens est un des cinq boroughs (arrondissements) de New York, populaire, cosmopolite, malfamé par endroits. Le monde des promoteurs immobiliers dans lequel évolue Fred Trump ne s’y embarrasse guère de morale ni de loi et flirte volontiers avec la mafia italo-américaine. Donald restera toute sa vie un enfant de ce quartier : au fond, malgré ses rêves d’ascension sociale, il sera toujours un Blanc du Queens des années 1970-80, qui décrypte le monde à travers les lunettes raciales du « nous » contre « eux » des bas quartiers new-yorkais. Il tient cette vision de Fred, compagnon de route du Klu Klux Klan.
Pour l’instant, Donald a tout à prouver. Il reste sous l’emprise paternelle et rêve de se faire un prénom. D’où, en 1983, la construction de la fameuse Trump Tower dans la partie la plus chic de Manhattan, Midtown, à deux pas de Central Park, chez ces nice people, les gens éduqués et bien-pensants qu’il déteste pourtant viscéralement, comme le rapportera son excellente biographe Maggie Haberman, issue du Queens comme lui 1.
Il reprend les affaires de Fred, qui avait fondé sa richesse en se spécialisant dans le logement pour la classe moyenne de Brooklyn et du Queens et en faisant sortir de terre pendant la guerre des quartiers autour de bases militaires dans le pays. Donald fait du business comme papa, et d’abord à ses côtés : il graisse la patte des élus et hommes de loi pour obtenir permis et exemptions fiscales, conclut des deals avec la mafia sur les banquettes des night-clubs, fait pression sur les syndicats et achète leurs dirigeants. Et bien sûr, il raconte bobard sur bobard à la presse. Ainsi reprendra-t-il volontiers le mensonge de son père se déclarant d’origine suédoise : après 1945, s’afficher comme allemand n’était pas idéal pour faire du business avec des juifs…
À l’époque, Donald apprend encore la vie, appelant de temps à autre son père à la rescousse pour se tirer de situations financières difficiles. Pour mieux s’émanciper peut-être, il se dote d’un second père, un mentor pour la vie et les affaires, en la personne de l’avocat Roy Cohn, qui lui ouvre les portes de Manhattan et des casinos. De lui, Donald Trump retient ce credo : « Always attack. Never apologize. Attack, attack, attack » (« Attaquer toujours. Ne jamais s’excuser. Attaquer, attaquer, attaquer ») 2. Il retient aussi qu’il faut toujours aller parler en tête à tête à ceux qui se mettent sur son passage, fussent-ils juges ou fonctionnaires. Prototype de l’avocat véreux, Cohn tord le bras aux lois pour monter les affaires les plus douteuses, donne un vernis légal aux investissements de la pègre, intéresse aux affaires de ses clients les politiciens sans scrupules ou au besoin les menace de publier des informations compromettantes à leur sujet.
Le monde de Trump est rude, sans foi ni loi. Pas si différent au fond de celui de la mafia rouge qui débarque dans ces années-là à Brighton Beach, dans le sud de Brooklyn. Sans doute était-il fait pour s’entendre avec ces Soviétiques, souvent juifs de Russie et d’Ukraine, qui reproduisent leur univers sur les bords de l’Atlantique. Dans ce quartier bientôt surnommé « Little Odessa », on adore les cornichons au vinaigre et les coiffures choucroutes, les paillettes et les robes en satin, les bars glauques tenus par des types aux gueules patibulaires.
Donald Trump n’est pas fasciné par la Russie – d’ailleurs il ne connaît pas vraiment la fascination. À Maggie Haberman, qui lui demande par exemple pourquoi il a tant désiré lancer des projets en Russie, il répond : « I love glamour 3. » Et en effet, c’est sans doute tout ce qui l’a attiré en Russie, le glamour et les filles russes qui n’ont « aucune morale », comme il l’a confié à un chroniqueur de la presse populaire new-yorkaise 4. Mais ce qu’il ne savait peut-être pas, ou plutôt ce dont il se fichait éperdument, c’est que derrière chaque mafieux rouge se cache toujours un kagébiste, un officier du KGB. Et avec eux et d’autres Russes, diplomates ou hommes d’affaires, il va bientôt développer un autre affect pour la Russie : le goût pour la puissance et le culte de l’homme fort.
