L'extinction des vaches de mer: Roman

Auteur : Adèle Rosenfeld
Editeur : Grasset

La Rhytine de Steller, plus connue sous le nom de «  vache de mer  », a été découverte en 1741 par le naturaliste allemand Georg Wilhelm Steller. C'est lors d'une expédition dans les eaux glacées du Pacifique nord qu'il rencontre ce gigantesque animal marin au destin tragique - puisqu'il s'éteindra définitivement 27 ans après son premier contact avec les hommes. À la fois roman d'aventure, épopée scientifique et plongée dans l'intimité d'un équipage échoué, L'extinction des vaches de mer nous entraîne dans la vie d'un grand explorateur lancé dans la bataille que se livrent les savants européens du XVIIIème siècle pour s'approprier de nouvelles terres et des espèces encore inconnues. Jusqu'à trouver ces vaches de mer devenues mythiques, dont la chair a le pouvoir de sauver les naufragés affamés, sa graisse de les réchauffer, et ses airs de sirène de les enivrer.
Mais si la Rhythine de Steller a envahi l'imaginaire de la narratrice, de quoi cette obsession est-elle le nom  ? Porté par une écriture poétique, sensorielle, L'extinction des vaches de mer interroge la possibilité de préserver ce qui menace de s'effacer : un animal, un grand-père, une langue, une histoire familiale. À travers la figure de Steller, scientifique hanté par la beauté et la fragilité du vivant, Adèle Rosenfeld propose une réflexion bouleversante sur la disparition, les douleurs silencieuses et le besoin de transmettre.

17,00 €
A paraître : 14 Janvier 2026
160 pages
ISBN : 978-2-2468-3902-6
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Extrait

Les nuages s’étaient essorés et ne formaient plus qu’un mince ourlet vaporeux au-dessus de la mer, quand une impulsion électrique traversa le ciel, la sensation d’un danger, un changement brutal qui alerta Steller. Une masse sombre couvrit les flots, lui fit d’abord penser à une zone d’algues brunes, mais cette masse persista, jusqu’à ce qu’émergeassent d’autres collines au-dessus des flots bariolés d’écume, puis une silhouette jaillissant qui émit un bruit de choc d’air, de chair et d’eau, comme si quelque part des draps mouillés étaient étendus dans une plaine, le linge claquant dans le vent, et la masse brune replongea, et une autre plus loin apparut. On entendit de nouveau le même bruit et ce fut tout un peuple, une concentration vallonnée, qui souffla bruyamment. Des animaux marins géants s’avancèrent vers le rivage, un troupeau face auquel les hommes semblaient si frêles, comme des branchages face à un brasier. « Frêles et inutiles », pensa Steller, angoissé par le nombre et la carrure immense de ces animaux. Sa vue d’homme fut incapable d’évaluer, dans le kaléidoscope formé par les vagues et les changements de lumière, où commençait et où finissait l’animal, puis le troupeau tout entier. Il lui sembla alors que la mer n’était plus cette masse mouvante, liquide, mais un mur aux multiples rainures tranchantes contre lequel les hommes se fracasseraient. C’était la colonie d’un animal marin, jusque-là inconnu, qui apparaissait pour la première fois.
La croyance dans la survie de l’espèce vacilla, son corps ligneux lui sembla si maigre, sa chair blanche si fragile, ectoplasmique, et les autres à peine des persistances rétiniennes devant cette grande coulée d’opulence. Les animaux, dont il apercevait seulement la rondeur de l’immense dos, formaient des îlots, des îlots qui encerclaient la rive et dont les respirations bruyantes résonnaient sur la crique, comme dans une conque. Steller eut l’étrange sensation que lui et l’équipage, massé devant le spectacle, étaient à l’intérieur de cette conque, qu’ils étaient possédés par l’animal. Il lui apparaissait plus clairement que des têtes émergeaient, qui se dégageaient distinctement d’un long et puissant corps de plusieurs mètres, des têtes larges aux museaux proéminents, un nez imposant comme une bouche, ou une bouche comme un nez, et qu’elles respiraient bruyamment presque en même temps. Et leurs respirations étaient obscènes, elles n’étaient entravées de rien et semblaient presque se répondre comme un jeu que Steller percevait comme un affront dans la fusillade du froid.
Il entendait la voix de Iushin à ses côtés, mais il ne pouvait écouter. Sa voix faible était incapable de percer dans le grand vacarme des expirations et le regard de Steller restait accroché à ces bouches bruyantes, à ces longs corps. Il était tout entier occupé à fouiller dans l’écume et les flots pour saisir les formes, à lutter contre la ronde des couleurs de la mer, émeraude, gris, marron, glauque, et tenter de saisir ce qu’il avait interprété comme une queue, une queue en forme de demi-lune.

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