Explosives
« Clara s'imagina en femme qui n'a pas peur de faire mal, et ressentit une bouffée de pouvoir. Tous ces hommes, regards figés sur leurs téléphones, qui ne pensaient même pas à la voir autrement qu'une petite fille dont disposer, ils l'entendraient, clac-clac, et il serait déjà trop tard. »
Aux yeux de tous, Clara est une jeune fille ordinaire et inoffensive. Mais sous ses airs d'étudiante timide, elle est en colère. Contre le patriarcat omniprésent, contre un monde qui ne la craint pas, contre les limites qu'on lui impose. Elle pense enfin trouver sa place lorsqu'elle fait la rencontre d'Ari, mystérieuse cheffe d'un groupe féministe radical, qui fait d'elle sa dernière recrue. Mais qu'est-il arrivé aux précédentes ?
Entre satire sociale et polar contemporain, Hélène Coutard nous offre un premier roman vertigineux sur la violence féminine, la soif d'appartenance et les histoires qu'on se raconte pour survivre.
Une bombe à faire exploser... ou à désamorcer ?
Extrait
1999, Madrid. Tout le long du trottoir, il y a une foule d’hommes, pinte à la main. On joue ce soir-là un match de foot, les médias ont précisé longtemps les équipes et le score, cherchant le moindre détail que l’on n’avait pas analysé, mais on en a depuis conclu que le match n’avait aucune sorte d’importance. Les hommes sont appuyés contre les murs, assis sur des tables en bois qui ressemblent à celles des aires d’autoroute. Il est l’heure où ils sont nombreux sur les trottoirs. Beaucoup sont en costume, fraîchement sortis du travail, ils ont au poignet des montres qui se figeront pour toujours aux alentours de 21 h 25. Cela correspond aux vidéos des caméras de surveillance et aux témoignages des voisins. La foule est si compacte que la femme doit jouer des coudes pour avancer. Personne ne la regarde. Elle progresse en regardant ses pieds, les bras formant un arc de cercle bizarre autour de son abdomen. Elle porte un long et large manteau, pourtant l’air est doux. Arrivée au centre du carrefour, si bien fondue dans la masse que l’on ne peut distinguer où elle s’arrête et où les hommes commencent, elle baisse les bras et les laisse tomber le long de son corps. Ferme les yeux. Elle laisse la foule se rapprocher, envahir son espace personnel. Autour, des corps si nombreux qu’ils pourraient l’avaler. Mais c’est elle qui les avale.
La déflagration se fait entendre à des dizaines de kilomètres. Le bruit, suivi du silence, surprend. Une seconde, les corps serrés d’un vendredi soir, la foule comme une bête à tentacules, bruyante, bouillonnante, pas des créatures mais une créature qui s’étire, sûre de son pouvoir. La vie pavée de certitudes. Et puis, la seconde suivante, un éclair qui coupe le ciel en deux comme s’il scindait la Terre.
Depuis le trottoir d’en face, à plusieurs dizaines de mètres, il y en a un qui dira l’avoir vue. Cette femme les yeux fermés, seule, qui ne faisait rien d’autre qu’attendre. Elle ne fumait pas de cigarette, ne semblait pas guetter quelqu’un. Elle était juste là. L’explosion l’a fait tomber à terre. Il racontera qu’autour de lui, le monde s’est éteint. Plus de bruit, plus de lumière. Comme si on avait baissé le son de la fin du monde. Pendant de longues secondes, la vie s’est suspendue, partout, tout le monde retenait son souffle. Et puis le déluge. Des débris qui retombent comme de la neige, une épaisse fumée grise ressemblant à un monstre, l’enfer qui se découvre quand la poussière retombe, les flammes, les cris. Les trottoirs rougis. Et là où elle s’était tenue, un trou noir.
