In violentia veritas

Auteur : Catherine Girard
Editeur : Grasset
Sélection Rue des Livres

Lorsqu'elle apprend, alors âgée de quatorze ans, qu'on la surnomme «  la fille de l'assassin  », Catherine Girard s'empresse d'aller interroger son père Henri Girard, mieux connu sous le nom de Georges Arnaud, auteur du roman Le Salaire de la peur. La confidence se fait dans une ambiance où la peur le dispute à la tendresse.  L'horreur de ce que le vieil homme lui apprend plonge l'adolescente dans un déni dont elle ne sortira qu'un demi-siècle plus tard, et qui la pousse aujourd'hui à prendre la plume pour confronter ce passé abyssal.
Le matin du 24 octobre 1941, au château d'Escoire, le père d'Henri Girard, sa tante et leur servante ont été retrouvés morts, atrocement massacrés. Henri fut le seul à y échapper. Inculpé, emprisonné, promis à la guillotine pendant dix-neuf mois dans l'un des cachots les plus insalubres de France, il fut finalement acquitté. L'affaire ne fut jamais élucidée.
Loin du genre «  true-crime  », In Violentia Veritas est un magnifique récit littéraire d'investigation familiale qui révèle pour la première fois au grand jour, une vérité aussi incontestable qu'épouvantable. Avec honnêteté et rigueur, l'autrice remonte de branche en branche sa généalogie marquée par une violence atavique.

22,00 €
Parution : Août 2025
352 pages
ISBN : 978-2-2468-4313-9
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Extrait

Le divan

Allongée sur le divan, face à la fenêtre, j’attends les questions d’Olivier, assis derrière moi dans le fauteuil du roi son père. Nous sommes en quatrième dans le même lycée et il me tanne depuis des semaines pour une séance de psychanalyse dans le cabinet de papa qui ne travaille pas le mercredi, avec lui dans le rôle du psy, moi dans celui de l’analysée. Je n’ai pas bien compris pourquoi, mais il a tant insisté que j’ai fini par céder.
Ferveurs adolescentes obligent, il commence par une série de questions sur ce que m’évoque l’image d’une clé entrant dans une serrure, un pistolet de pompe à essence dans le réservoir d’une voiture, un ver de terre creusant son orifice dans la chair juteuse d’une pomme. Un grand éclat de rire vient saccager le champ allégorique de ses fantasmes fornicateurs. Olivier reprend son sérieux. D’une voix de basse qu’il s’efforce de rendre plus grave encore, il enchaîne sur mon arbre familial. Qui étaient mes grands-parents ? Leurs noms. Leurs professions. Étaient-ils toujours en vie, et, s’ils ne l’étaient pas, de quoi étaient-ils morts ?
Du côté de Maman, une grand-mère bien vivante et aviatrice, Marguerite, que je n’avais jamais rencontrée, ma mère ayant la particularité d’être brouillée avec toutes les femmes des générations qui encadraient la sienne. Un grand-père ingénieur, Émile, qui avait inventé la radio, du moins d’après sa fille, dont je saisirais plus tard – l’existence d’un certain Marconi n’y ayant pas suffi – l’inclination vertigineuse pour le mensonge ornemental. La réalité avait de quoi vexer une petite fille : joli garçon, son père avait simplement fait un beau mariage, vécu aux crochets de son épouse puis, après l’avoir ruinée, à ceux de ses maîtresses. Je ne le connaissais qu’au travers d’histoires de famille et par certains atavismes flagrants, parmi lesquels, outre cette tendance à la fabulation qui frisait la mythomanie, un insatiable orgueil et une vanité qui leur auraient fait embrasser n’importe quelle cause pourvu que celle-ci leur conférât une certaine distinction, accessoirement aussi servît leurs intérêts. Les mensonges de ma mère avaient le mérite d’être narrés avec talent. De longues mains fines gesticulantes frôlaient ses mots du bout des doigts qui suspendaient au vol votre incrédulité. Elle fixait sur les vôtres de grands yeux verts qui vous faisaient oublier jusqu’à l’ombre de votre dernier doute. Le tour était joué : envoûté, vous étiez.
Je ne savais rien de plus sur Émile, sinon que son décès était survenu en 1968, d’une rupture d’anévrisme, à Aire-sur-Adour, où il vivait aux dépens de sa dernière maîtresse. Il n’avait laissé d’héritage que celui que sa fille inventa afin de pouvoir prétendre y avoir renoncé, et rattraper ainsi l’immense écart de fortune entre celle qu’elle avait montée de toutes pièces et celle que mon père avait dilapidée.
Ma grand-mère paternelle était celle dont la mort renfermait le moins de mystère. Mon père, au contraire de sa fabulatrice d’épouse, n’était pas menteur, il était romancier, ce qui lui permettait de canaliser ses mensonges dans ses œuvres. Valentine, professeur de lettres et, par ailleurs, camarade de Lénine, était morte d’une tuberculose en 1926, enceinte et en sanatorium.
Quant à mon grand-père paternel, à part qu’il était historien et plus ou moins aristocrate, je m’aperçus que je n’en savais rien. Je fouillai ma mémoire jusqu’à ce qu’en émergeât un lointain souvenir. J’étais en voiture avec ma mère, assez grande pour être assise à la place du mort, quand je lui avais posé la question. J’avais bien senti comme un silence qui ne trouvait pas ses mots avant de l’entendre me répondre que mon grand-père, Georges Girard, avait été assassiné par les services secrets allemands, en raison de ses convictions politiques.
— Ça y est ! Ça me revient ! Il est mort assassiné par les services secrets allemands, pendant la Seconde Guerre mondiale.
— Tu en es sûre ?
— Oui, je me rappelle avoir posé la question à ma mère quand j’étais petite. C’est la réponse qu’elle m’a donnée.
— Cherche bien dans tes souvenirs…, dit Olivier de sa voix d’outre-tombe. C’est tout ce que tu sais ?
Son insistance m’agaçait. Oui, c’était tout ce que je savais ! S’efforçant de rendre son ton encore plus sépulcral, emphatique, quasiment théâtral, il lâche ces mots par grappes :
— Et si je te disais… que c’est ton père… ! qui a tué le sien… et qu’il n’a pas seulement… assassiné son père… ! il a aussi… tué sa tante… ! et même leur servante… !
Je bondis, me retournant vers lui. Un rire immobile, en suspens en travers de la gorge, un rire défendu dont je ne savais que faire me barrait la poitrine. Mon père, ce monstre de gentillesse, d’une tendresse infinie, d’une bonté quasi maternelle ? Mon père, un assassin ? Mon père, tuer une innocente ? Mon père, un parricide ?
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? D’où est-ce que tu sors ça ?
— C’est Moatti qui me l’a dit. Je suis allé le voir pour lui parler de notre pièce, et quand j’ai dit ton nom, il m’a repris : « Girard, la fille de l’assassin ? » Je suis resté bouche bée. Je n’ai pas eu à poser plus de questions, tout le reste a suivi. Il m’a dit que l’affaire avait fait grand bruit, qu’ils avaient tous été tués à coups de serpe. Il a ajouté que ton père avait été défendu par un ténor du barreau, qu’il avait été acquitté, mais que lui restait persuadé de sa culpabilité, et qu’il n’était pas le seul, que toute la France l’avait été et, pour beaucoup, l’était encore !

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