Jacky
« Mon père a disparu en l'espace de trois consoles de jeux »
Au tournant des années 1980 et 1990, Anthony et son frère jumeau grandissent entourés d'une famille paternelle soudée, dans une vallée enclavée de l'arrière-pays niçois. Entre des grands-parents aimants, une cousine atteinte d'une maladie mystérieuse et un jeune oncle plein d'entrain, ils tuent l'ennui grâce aux jeux vidéo - une passion nouvelle, transmise par leur père : Jacky. De Space Invaders à Zelda, de Nintendo à Sega, la conscience du monde dans lequel le narrateur et son frère évoluent s'aiguise avec les capacités techniques de ces étranges machines. Elles vont peu à peu s'imposer comme un refuge face aux injonctions qui pèsent sur eux, à l'ennui d'un quotidien sans horizon et aux drames qui frapperont bientôt leurs proches. Jusqu'au départ brutal de leur père. Anthony Passeron plonge le lecteur dans une époque révolue : l'insouciance de la fin du XXème siècle, avec son horizon de prospérité et d'innovations technologiques. Mêlant son histoire personnelle à celle des grands inventeurs de jeux vidéo, il lance un cri d'amour au père, malgré la blessure inguérissable de l'abandon.
Ce roman d'apprentissage en trois consoles, de la tendresse de l'enfance aux désillusions de l'adolescence, a le charme et la puissance d'une chronique sociale douce-amère : « J'aurais voulu qu'on se demande enfin quelle malédiction, quelle pluie de mépris, de bêtise et de brutalité tombait depuis des décennies, des siècles peut-être, dans cette vallée que certains n'avaient d'autre choix que de fuir. »
Extrait
Le vendredi 9 juin 1972, deux jeunes ingénieurs américains déposent auprès de l’administration californienne les statuts d’Atari. Ted Dabney et Nolan Bushnell actent ainsi la naissance d’une modeste entreprise qui va concevoir et installer des bornes de jeux dans la région. Le nom de la société est inspiré d’une expression du jeu de go.
Férus d’électronique, les deux hommes ne sont pas tout à fait des novices. Pendant leurs études, ils ont vu naître les ancêtres du jeu vidéo sur les écrans des oscilloscopes et des ordinateurs des universités américaines. Une fois leur diplôme en poche, ils créent Computer Space, une première borne très prometteuse. Ce simulateur de bataille spatiale est le premier jeu de l’histoire fabriqué en série. Son succès technique et commercial encourage Dabney et Bushnell à voir plus grand. Ils en sont persuadés, ces appareils vont bientôt remplacer les flippers de la génération de leurs parents dans les bars et les galeries marchandes du monde entier, et ils comptent être parmi les premiers à se lancer dans cette aventure.
Comme le chantier est immense, les deux ingénieurs dégotent une nouvelle recrue, un certain Allan Alcorn.
Après le départ précoce de son père, le jeune garçon a passé son adolescence seul, en face d’une boutique de réparation d’appareils électroniques de San Francisco. Lassé de le voir traîner devant sa vitrine tous les samedis, le patron le laisse accéder à son atelier pour lui apprendre les bases du métier. Désormais diplômé de l’Université de Berkeley, Alcorn doit imaginer et développer les premiers jeux d’Atari.
Pour le familiariser avec la programmation vidéoludique et s’assurer qu’il a les compétences requises, Bushnell lui propose de se faire la main en améliorant le code d’un logiciel de ping-pong concurrent, dont la lenteur lasse les joueurs. Afin de mener à bien cette première tâche, Alcorn est abandonné dans un minuscule bureau équipé d’un ordinateur.
Quelques semaines plus tard, le petit nouveau frappe à la porte de ses collègues pour leur présenter son travail. Dabney et Bushnell sont sidérés. Non seulement Alcorn a corrigé les défauts du programme original, mais il y a également incorporé des améliorations significatives. Le jeu dispose désormais d’un compteur de score, et d’une fluidité de mouvement extraordinaire. Dans cette nouvelle version, la balle accélère au fur et à mesure de la partie, qui devient de plus en plus excitante. Le jeune ingénieur a transformé un médiocre logiciel pour donner naissance à un jeu amusant et addictif. À partir de ce qui n’était qu’un exercice d’entraînement, Alcorn vient de créer un produit au potentiel exceptionnel. Ses collègues sont si enthousiastes que le jeu, baptisé Pong, va porter tous les espoirs de la nouvelle entreprise.
À la fin de l’année 1972, un premier prototype est installé dans un bar de la petite ville de Sunnyvale où le trio d’Atari a ses habitudes, le Andy Capp’s Tavern. Non seulement l’établissement se trouve tout près de leurs locaux, mais il est aussi fréquenté par bon nombre d’étudiants auprès desquels Nolan Bushnell et Ted Dabney souhaitent tester la machine.
Peu de temps après, le barman les rappelle, passablement agacé. Le jeu qu’il a accepté d’accueillir dysfonctionne déjà.
Lorsqu’ils se rendent sur place, les trois hommes ouvrent l’appareil et constatent avec surprise que la borne jaune n’est pas en panne. Le monnayeur, qu’ils ont récupéré dans une vieille laverie automatique, est simplement saturé de pièces.
Victime de son succès, Pong attire les jeunes du coin qui font la queue pendant des heures et y laissent toute leur monnaie. Les cofondateurs d’Atari se prennent à rêver. Ils entreprennent d’installer des machines similaires partout où c’est possible. En seulement quelques mois, plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires sont vendus à travers les États-Unis. Pong devient un véritable phénomène.
Dès 1976, après un second succès avec la borne Breakout, le premier jeu de casse-briques de l’histoire, Atari est rachetée par Warner Communications pour 28 millions de dollars.
La nouvelle direction ambitionne d’introduire ses produits dans les foyers.
Après avoir créé un premier appareil permettant de jouer à Pong sur son téléviseur, le groupe souhaite proposer une machine d’un nouveau genre, qui pourrait accueillir des jeux différents, sur des cassettes commercialisées en parallèle.
En septembre 1977, après des mois de travail, Atari lance sa première console de jeux : le Video Computer System, mieux connu sous le nom d’Atari 2600.
La machine, forte d’un catalogue de jeux de plus en plus large, séduit les foyers américains, japonais puis européens. Les succès de salles d’arcade vont progressivement être adaptés en autant de cartouches destinées aux écrans de télévision. En l’espace de quelques années, plus de 40 millions d’exemplaires de l’Atari 2600 seront vendus à travers le monde.
