Presque génial

Auteur : Benedict Wells
Editeur : Le Livre de Poche

« J'ai le sentiment que je n'aurai à regarder mon père qu'une seule fois, à lui parler qu'une seule fois, et que toute ma vie changera. ».
Francis, dix-sept ans, né de père inconnu, vit avec sa mère dépressive dans un mobil-home à la périphérie de Claymont, dans le New Jersey. Son beau-père est parti avec son petit frère, et sa mère multiplie les séjours en hôpital psychiatrique. Lors d'une énième tentative de suicide, celle-ci lui laisse une lettre d'adieu dans laquelle elle lui révèle qu'il est le fils d'un donneur anonyme sélectionné pour son QI. Francis se met alors en tête de retrouver son géniteur. À bord d'une vieille Chevy, il emmène son meilleur ami, le geek Grover, et la mystérieuse Anne-May, dont il vient de tomber amoureux, pour un road trip à travers les États-Unis.

Une passionnante quête identitaire, inspirée d'une histoire vraie.

8,20 €
Parution : Mars 2022
Format: Poche
360 pages
ISBN : 978-2-2530-7963-7
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Extrait

« Je vais me barrer ! »
Francis était, comme souvent, à la clinique psychiatrique, sa mère à côté de lui. La chaise était trop petite, le dossier lui rentrait dans le dos. Il avait fermé les yeux et s’imaginait sauter d’une falaise et plonger la tête la première dans la mer.
«Je vais m’enfuir ou prendre un avocat, disait sa mère. Tout ça c’est ta faute, Francis, tu as foutu ma vie en l’air!»
Depuis qu’il l’avait fait hospitaliser, avec l’aide des urgences psychiatriques, elle était passablement remontée contre lui.
Ils attendaient le médecin. Francis prit une pièce dans sa poche. Face, tout finirait bien, pile, ce serait le contraire. Il lança la pièce de dix cents et la rattrapa sur le dos de sa main. C’était le moment : pile ou face, il allait vérifier. La porte s’ouvrit et le Dr Sheffer, le nouveau chef de service, entra.
Il adressa un signe de tête à Francis et effleura les épaules de la femme de quarante ans assise sur sa chaise et qui paraissait complètement absente.
« Elle est dans cet état depuis quand ?
— Une semaine à peu près.
Francis se frotta les yeux.
» Depuis, elle est complètement folle, si on peut dire ça comme ça. »
Oui, on peut dire ça comme ça, pensa-t-il.
Le médecin prit des notes et parcourut le dossier, on lisait sur la première page « Katherine Angela Dean ». «Votre mère souffre de troubles schizo-affectifs bipolaires ?
Francis haussa les épaules.
— Ça dure depuis des années. Si en plus elle arrête de prendre ses médicaments, c’est l’effondrement total.
— C’est bien ce que je pensais », dit sa mère.
Elle semblait se parler à elle-même et secoua la tête. Le Dr Sheffer la regarda. Ses cheveux noirs lui pendaient sur le visage, ses yeux étaient cernés et, malgré la fatigue, elle avait du mal à rester en place. Même dans cet état, sa beauté restait inaltérable.
Francis parla de sa maladie et de son agressivité à son égard : elle ne dormait quasiment plus, elle se sentait persécutée par ses voisins et par Ryan son ex-mari.
«Elle a même jeté nos téléphones portables parce qu’elle croyait qu’on y avait inséré des mouchards. »
Sa mère répondit à son regard. Soudain, elle lui pressa gentiment la main. Francis pressa la sienne à son tour. Il oublia un instant sa folie et se sentit proche d’elle, comme autrefois, lorsqu’il était enfant, et la revoir ici pour la troisième fois lui brisa le cœur.
« Quel âge avez-vous ? lui demanda le médecin. — Presque dix-huit.
— On vous donnerait plus. »
Francis entendait ça très souvent, il ne savait jamais que répondre.
Le Dr Sheffer survola de nouveau le dossier.
« Vous avez des frères et sœurs ?
— Oui, Nicky, mon demi-frère. Mais il vit maintenant à New York chez mon beau-père. Maman et moi, on vit seuls.
— Et votre père biologique ? »
Francis regarda le plancher. C’était La question. Il ignorait qui était son père. Sa mère n’avait jamais voulu le lui dire. Elle avait simplement mentionné, une fois, une brève liaison avec quelqu’un qui venait de très loin. « Très loin » pouvait signifier beaucoup de choses, son père était peut-être australien ou anglais. Mais derrière ce « très loin » se cachait plus vraisemblablement un connard de yuppie qui voulait voir L.A. et qui avait baisé sa mère à la sortie d’un match des Lakers. Elle était pom-pom girl et avait beaucoup d’admirateurs, l’un d’entre eux avait apparemment balancé ses gènes dans le circuit et engendré un fils sans le savoir.
« Je ne connais pas mon père. Je ne sais même pas comment il s’appelle.
Le Dr Sheffer hocha la tête et referma le dossier.
— Avec nous, votre mère est entre de bonnes mains, dit-il. L’essentiel, c’est d’abord qu’elle se repose et qu’elle dorme. »
Autrement dit, ils allaient la bourrer de médicaments et la garder en psychiatrie.

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