Un roi sans lendemain

Auteur : Christophe Donner
Editeur : Le Livre de Poche

Qui a tué l'enfant du Temple ? C'est la question que se pose aussitôt Henri Norden, quand on lui demande d'écrire le scénario d'un film consacré au fils de Marie-Antoinette et de Louis XVI. Principal suspect : Jacques-René Hébert, écrivain favori des sans-culottes et directeur du Père Duchesne, le journal le plus scandaleux et le plus célèbre de la Révolution. A l'heure où l'on pense avoir authentifié le cœur de Louis XVII, le tabou sur le destin de ce " roi sans lendemain " est-il vraiment levé ? La réponse est expiatoire. Si elle n'est pas dans le film de Norden, elle se trouve dans le roman de Donner.

7,10 €
Parution : Septembre 2009
Format: Poche
377 pages
ISBN : 978-2-2531-2658-4
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Extrait

Henri en était à la cinquième ou sixième version de son livre sur Ulises. Mais bon sang, se dit-il, pourquoi est-ce que je me fais autant de mal, depuis tant d'années, à prêcher dans le désert la cause du vrai, de l'intime ? A quoi mène cette obsession de toucher au nerf ?
Il se leva d'un bond, propulsé par le désir fou d'en finir avec l'autobiographie, en finir avec tout ce travail d'introspection, tellement épuisant au bout du compte. Il avait alors repris son livre depuis le commencement, passant allègrement de la première à la troisième personne du singulier.
Pour un écrivain comme Henri, c'était un revirement complet. Ses récits farouchement autobiographiques lui avaient valu une réputation d'ennemi du roman, réputation à laquelle il avait fini par s'attacher, tout en continuant d'écrire des romans, mais à la première personne, afin de brouiller les pistes. Car s'il se méfiait de l'imagination, il ne s'était pas gêné pour s'en servir à l'occasion. Au bout du compte, il avait un peu tout essayé, mais on n'avait retenu de lui que son côté rebelle, c'est-à-dire autobiographique. Le véritable défi, c'était d'écrire à la troisième personne. Parler de lui comme d'un personnage, qui n'était donc pas tout à fait lui, ça, il n'avait jamais osé. Pourtant, très vite, il en avait ressenti un soulagement profond, un souffle libérateur l'emportait, le poussait dans l'écriture, et à sa grande surprise. A sa grande joie, il avait découvert que son texte, initialement écrit à la première personne, ne perdait rien au change, au contraire, le il ne prenait pas la place du je, mais y ajoutait un vernis subtil, autorisant des digressions plus longues, plus malicieuses, et même des incursions à l'intérieur de sa personne, encore plus profondes, plus intelligentes. Comme quoi.
La seule chose sur laquelle Henri ne reviendrait pas, c'était le titre, Me faire ça à moi, il le garderait, il le trouvait trop bon.
Lui faire ça à lui, ça n'a aucun sens, se dit-il. Et de toute façon, on n'en est pas encore là. L'important, c'est d'aller au bout de cette version, la septième sera la dernière.
Me faire ça à moi. Il se répétait l'ironique formule, à la fois comme un remède et comme le couronnement de ses efforts pour en finir avec l'autobiographie, quand le téléphone sonna sur son bureau.
- Simon à l'appareil. Dis-moi : est-ce que ça te dirait d'écrire un scénario sur Louis XVII ?
- Louis XVII ?
- Je t'explique : ma fille veut produire un film sur Louis XVII.
- Je ne savais pas que ta fille était productrice.
Henri ne savait pas non plus qui était Louis XVII.
Au lycée, Henri ne s'était intéressé qu'aux mouvements de masse, les guerres, les révolutions. Il avait quitté le lycée à quatorze ans pour faire la révolution. Ça n'avait pas marché, il était resté seul dans la rue, et maintenant il avait des manques.
Tandis que Simon Lechinar lui parlait au téléphone, Henri prit le Petit Robert des noms propres et tourna les pages à la recherche de Louis XVII. Henri avait rencontré Simon trois fois dans sa vie, et chaque fois, le vieil homme lui avait parlé de Cocteau, qu'il avait connu, de Prévert qui avait été son ami, de la comtesse de Noailles, chez qui il avait brisé une tasse en porcelaine. Il avait connu Johnny Hallyday tout jeune, il avait eu deux voix au Goncourt, dans les années soixante. Henri ressortait chaque fois avec l'infortuné bouquin, dédicacé. Il essayait de le lire, par curiosité, par politesse, mais rien, il se demandait comment un homme doué d'une conversation si amusante pouvait écrire des phrases aussi sérieuses. Henri n'aimait pas le sérieux, surtout en littérature.
Simon Lechinar avait épousé, cinquante ans plus tôt, une jeune femme extrêmement riche qui était morte dans un accident d'hélicoptère quelques mois plus tard, lui laissant un bébé sur les bras, Sylvie, qui voulait aujourd'hui produire des films. Simon avait eu la charge de gérer sa fortune : des années fastes et archimondaines au cours desquelles il avait failli ruiner toute la famille. A soixante-dix ans, démissionné de tous les conseils d'administration, il vivait à présent aux crochets de sa fille.
- Une des femmes les plus riches d'Europe, dit-il à Henri.
En effet, elle s'était mariée à un M. Delamare qui avait remis les affaires en ordre, et après avoir amassé quelques milliards d'actions à droite à gauche, la quarantaine arrivant, lassée de la haute finance, elle s'était souvenue tenir hérité de sa mère un complexe de salles de cinéma, Paris, Londres, Berlin, dont elle n'avait jamais rien fait et qui ne rapportait plus un sou depuis des années. Et voilà qu'un beau jour, au début juin, chez son coiffeur, avenue d'Iéna, elle était tombée sur un article de Point de Vue Images du Monde où il était question de Louis XVII. Emue aux larmes sous son casque à choucroute, elle s'était prise de passion pour le destin de ce pauvre enfant. Une envie folle d'en faire un film.
- Le premier film jamais réalisé sur Louis XVII, dit Simon au téléphone.
- Louis XVII, répéta Henri qui venait de trouver le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans le Petit Robert… L'enfant du Temple, c'est ça ? Celui dont on ne sait pas s'il est vraiment mort en prison.
- Mais maintenant on sait. Enfin, on peut toujours imaginer ce qu'on veut. Ma fille n'a pas d'a priori sur la question. Elle voulait demander à Rebecca Brandt d'écrire le scénario. Rebecca Brandt et Louis XVII, tu imagines ? Je l'ai convaincue que tu étais le seul à pouvoir écrire un scénario sur Louis XVII. Elle m'a demandé de t'appeler. Alors je t'appelle. Est-ce que ça t'intéresse ?

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