Pour rien au monde

Auteur : Ken Follett
Editeur : Le Livre de Poche

De nos jours, dans le désert du Sahara, deux agents secrets français et américain pistent des terroristes trafiquants de drogue, risquant leur vie à chaque instant. Une jeune veuve tente de rejoindre l'Europe et se bat contre des passeurs. Elle est aidée par un homme mystérieux qui cache sa véritable identité. En Chine, un membre du gouvernement lutte contre de vieux faucons communistes qui poussent le pays vers un point de non-retour. Aux États-Unis, la première femme élue présidente doit manœuvrer entre des attaques au Sahel, le commerce illégal d'armes et les bassesses d'un rival politique.
Alors que des actions violentes se succèdent partout dans le monde, les grandes puissances se débattent dans des alliances complexes. Pourront-elles empêcher l'inévitable ?

Traduit de l'anglais par Jean-Daniel Brèque, Odile Demange, Christel Gaillard-Paris, Nathalie Gouyé-Guilbert et Dominique Haas.
11,90 €
Parution : Janvier 2023
Format: Poche
928 pages
ISBN : 978-2-2539-3517-9
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Extrait

Pendant de longues années, James Madison avait, du haut de son mètre soixante-trois, détenu le titre de plus petit président des États-Unis. Jusqu’au jour où la présidente Green avait pulvérisé ce record. Pauline Green mesurait un mètre cinquante. Elle aimait à faire remarquer que Madison l’avait emporté sur DeWitt Clinton, un mètre quatre-vingt-dix.
Elle avait déjà repoussé à deux reprises sa visite au pays des Munchkins. Celle-ci avait été programmée chaque année depuis son arrivée au pouvoir, mais Pauline avait toujours eu des obligations plus importantes. Cette fois, en cette douce matinée de septembre de la troisième année de sa présidence, elle estima ne plus pouvoir s’y dérober.
Il s’agissait de ce que l’armée appelait une répétition de concept, un exercice destiné à familiariser les hauts responsables du gouvernement avec les mesures à prendre en cas d’urgence. Dans cette simulation d’attaque contre les États-Unis, elle quitta rapidement le Bureau ovale pour gagner la pelouse sud de la Maison Blanche.
Elle était suivie d’une poignée de personnages de premier plan qui ne la quittaient presque jamais d’une semelle : son conseiller à la Sécurité nationale, sa secrétaire principale, deux gardes du corps du Secret Service et un jeune capitaine de l’armée portant une mallette en métal recouverte de cuir surnommée « le football nucléaire», qui contenait tout ce dont Pauline avait besoin pour déclencher une guerre atomique.
Son hélicoptère appartenait à la flotte gouvernementale et l’appareil qui la transportait, quel qu’il fût, prenait systématiquement le nom de Marine One. Comme toujours, un marine en tenue de cérémonie bleue se tenait au garde-à-vous lorsque la Présidente s’approcha et gravit les marches d’un pas léger.
La première fois que Pauline était montée à bord d’un hélicoptère, quelque vingt-cinq ans plus tôt, l’expérience avait été, se rappelait-elle, pour le moins inconfortable : des sièges métalliques horriblement durs entassés dans un espace exigu et un vacarme qui interdisait toute conversation. Cet appareil-ci était bien différent. L’intérieur n’avait rien à envier à celui d’un jet privé : fauteuils moelleux recouverts de cuir brun clair, air conditionné et une petite salle de bains.
Le conseiller à la Sécurité nationale, Gus Blake, était assis à côté d’elle. Ce général à la retraite était un grand gaillard afro-américain aux cheveux gris coupés court qui dégageait une rassurante impression de vigueur. À cinquante-cinq ans, il était de cinq ans l’aîné de Pauline. Il avait été un élément clé de son équipe de campagne et était à présent son plus proche collaborateur.
« Merci d’être venue, lui dit-il alors qu’ils décollaient. Je sais que ce n’est pas par plaisir. »
Il avait raison. Cette perte de temps la contrariait et elle avait hâte d’en être débarrassée. « Une des corvées auxquelles on ne peut pas se soustraire, c’est tout», lança-t-elle.
Le trajet était court. Lorsque l’hélicoptère commença à perdre de l’altitude, elle vérifia son allure dans un miroir de poche. Ses cheveux blonds coupés au carré étaient impeccables, son maquillage discret. Elle avait de jolis yeux noisette qui révélaient la compassion qui l’étreignait fréquemment, alors même que ses lèvres pouvaient se serrer dans une expression de détermination inflexible. Elle referma sèchement son miroir.
L’hélicoptère atterrit dans une zone d’entrepôts, au milieu d’une banlieue du Maryland. Le nom officiel de ce secteur était Établissement de stockage du surplus d’archives du gouvernement américain n° 2, mais les rares personnes à connaître sa fonction réelle l’appelaient le pays des Munchkins, en référence au lieu où la tornade dépose Dorothy dans Le Magicien d’Oz.
L’existence du pays des Munchkins était un secret. Personne n’ignorait celle du Raven Rock Mountain Complex dans le Colorado, le bunker nucléaire souterrain qui devait servir d’abri aux commandants de l’armée en cas de guerre nucléaire. Il aurait une importance primordiale, mais ce n’était pas là que la Présidente se réfugierait. Beaucoup de gens savaient également qu’un Centre opérationnel d’urgence présidentiel, utilisé lors de crises comme celle du 11 Septembre, était aménagé sous l’aile est de la Maison Blanche. Il n’était cependant pas destiné à une occupation post-apocalyptique de longue durée.
Le pays des Munchkins, en revanche, pouvait assurer la survie d’une centaine de personnes pendant un an.
La présidente Green fut accueillie par le général Whitfield. Proche de la soixantaine, c’était un homme corpulent au visage rond et affable, dénué, à l’évidence, de tout caractère belliqueux. Pauline était convaincue que la perspective de tuer des ennemis – ce qui était tout de même, après tout, la vocation d’un soldat – ne le tentait pas le moins du monde. Sans doute son absence d’agressivité expliquait-elle qu’on lui ait confié ce poste.
C’était une zone d’entrepôts bien réelle, un fléchage dirigeant les livraisons vers un quai de chargement.

Whitfield fit passer le groupe par une petite porte latérale, et l’atmosphère changea immédiatement.
Ils se retrouvèrent devant une porte massive à deux battants que l’on aurait bien vue à l’entrée d’une prison de haute sécurité.
La pièce sur laquelle elle ouvrait était étouffante. Le plafond était bas et les murs semblaient resserrés, comme s’ils avaient un bon mètre d’épaisseur. L’odeur de renfermé était prégnante.
« Ce sas anti-explosion a pour principale fonction de protéger les ascenseurs », expliqua Whitfield.
Dès qu’ils entrèrent dans l’ascenseur, l’impatience qu’inspirait à Pauline l’obligation de se livrer à un exercice plus ou moins superflu s’effaça devant un sentiment de gravité.
« Avec votre permission, madame la Présidente, reprit Whitfield, nous commencerons par nous rendre au niveau le plus bas avant de remonter.
— C’est parfait, merci, général. »
Pendant qu’ils descendaient, il déclara fièrement: «Madame, cette installation vous assurerait une protection à cent pour cent si les États-Unis devaient être victimes d’une des catastrophes suivantes : pandémie ou épidémie, catastrophe naturelle telle que la chute d’une importante météorite, émeutes et graves troubles civils, invasion par des forces militaires conventionnelles, cyberattaque ou guerre nucléaire. »
Si cette liste de cataclysmes potentiels était censée rassurer Pauline, elle manqua son but. Elle ne fit que lui rappeler que la fin de la civilisation n’avait rien d’impossible et qu’elle-même risquait de devoir trouver refuge dans ce souterrain pour chercher à préserver des vestiges de l’espèce humaine.
Elle se dit qu’elle préférerait encore mourir à l’air libre.

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