Madame la présidente

Auteur(s) : Ava Djamshidi, Nathalie Schuck
Editeur : J'ai lu

Silhouette longiligne, sourire solaire : celle que les Français connaissent comme une première dame lisse, soucieuse de rester à sa place, voire parfois en retrait, joue pourtant en coulisses un rôle capital. Dans le huis clos de l’Élysée, elle est la première conseillère de Macron, sa coéquipière, celle qui le sermonne quand il dérape. Chaque soir, une fois fermée la porte des appartements privés, elle lui fait part des doléances qu’elle glane.
À l’aise dans les jeux de cour, cette fausse candide a un avis bien tranché sur les ministres et la garde rapprochée du Président. Coups de colère, mesquineries des collaborateurs du chef de l’État, vie quotidienne au Palais : cet ouvrage riche en révélations et nourri d’entretiens exclusifs révèle le véritable rôle d’une épouse singulière.

7,60 €
Parution : Janvier 2020
Format: Poche
320 pages
ISBN : 978-2-2902-1625-5
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Extrait

Jamais sans Brigitte !
Les péniches, en contrebas, descendent paisiblement la Seine. Elles longent, au loin, les tours de Notre-Dame. De leur duplex du sixième étage de Bercy, magistrale cathédrale de verre qui semble défier les cieux, les Macron ont une vue plongeante sur Paris. Derrière les façades vitrées, l’Élysée reste hors champ. En ce jour de printemps 2016, une poignée de conjurés a rendez-vous pour préparer dans le plus grand secret le lancement du nouveau parti du jeune ministre de l’Économie, En Marche !, conçu pour s’emparer du Palais. Dans la salle à manger, au milieu des meubles un brin vintage griffés Philippe Starck, une table est dressée avec stylos et bouteilles d’eau pour un après-midi de travail. Chacun cherche sa place, joue des coudes pour s’asseoir au plus près du futur candidat. Mais un fauteuil, à sa droite, leur est ostensiblement interdit. Privatisé, pour elle. En arrivant, Emmanuel Macron pose immédiatement sa veste sur le dossier du siège. Signifiant, par ce simple geste, le poids politique de son épouse. Le «boss» donne tout de suite le ton: il va falloir s’habituer à elle et composer avec. Au fil de la réunion, les convives, soutiens politiques de la première heure, élus socialistes pour la plupart, découvrent non sans surprise qu’elle est au courant de tout, du moindre ralliement, du niveau exact des collectes de dons. « Madame Macron », comme ils l’appellent encore, reçoit toutes les notes stratégiques des conseillers qui entourent son mari.
De Brigitte Macron en campagne, on garde l’image d’une femme effacée, discrète, affable. Présence fantomatique dans le sillage du candidat. Toujours assise au premier rang de ses meetings, avec son carnet et un stylo à la main, répétitrice muette et sourcilleuse de son époux, guère brillant à l’oral. En coulisses, elle est pourtant le pilier incontournable de sa conquête de l’Élysée. « La phrase que j’ai le plus entendue du président pendant la campagne, c’est : “Où est Brigitte ?” Il la cherchait tout le temps », se souvient Marlène Schiappa, fidèle de la première heure devenue membre du gouvernement. Après chaque réunion publique, une fois les spots éteints et le rideau fermé, c’est avec son épouse qu’il vient débriefer, comme à la grande époque de leur rencontre, quand elle était sa professeure de théâtre. Loin des regards indiscrets, l’épouse est un coach particulièrement intraitable pour le futur chef de l’État.

« Ce n’est pas comme ça
que tu vas devenir président ! »
Combien de fois l’équipe de campagne l’a-t-elle entendue pester, impatiente, parce qu’un discours n’en finissait pas ? « Mais qu’il arrête de parler des territoires, ça fait techno», fulmine-t-elle. Souvent, elle voit rouge lorsqu’il papillonne avec ses fans après un meeting, lui qui adore aller au contact. « Ça suffit, je me barre ! » Ou encore : « Il faut aller se coucher là, demain tu te lèves à 4h45.» Lui, véritable robot, saute souvent le déjeuner. Elle, rangée, aime les horaires réguliers, les repas à heure fixe, les coupures, une vie cadrée. D’un regard, elle le ramène sur terre. «Elle n’est pas une groupie. Elle l’encourage, mais c’est surtout la première à le critiquer », sourit le producteur Jean-Marc Dumontet, qui a été de quasiment toutes les réunions publiques, toujours assis à ses côtés. « Ce qui est intéressant en meeting, c’est sa tête à elle. Elle le regarde sévèrement. Elle trouve toujours qu’il est trop long. Elle lui envoie des éclairs par le regard. Je l’ai entendue dire : “J’en ai marre, il va encore parler deux heures” », glisse Marlène Schiappa. Un ami du couple a même reçu un jour ce coup de fil excédé de Brigitte Macron, inquiète que son mari, un peu trop chien fou, n’explose en vol : « Aide-moi à le calmer, j’ai l’impression de vivre avec Jeanne d’Arc ! »
Le premier cercle macroniste garde un souvenir cuisant d’une réunion à huis clos, restée secrète jusqu’ici, convoquée en urgence au quartier général de la rue de l’Abbé-Groult, dans le sud de Paris, au moment le plus critique de la campagne. Le 14 février 2017, Emmanuel Macron, coutumier des sorties au canon et petites provocations, a lourdement dérapé en qualifiant la colonisation française en Algérie de « crime contre l’humanité » et de « barbarie ». Circulez, il n’y a rien à voir, relativisent officiellement ses communicants, qui savent pourtant que la polémique peut les balayer. Sur les écrans du QG, l’affaire tourne en boucle sur BFM TV. Les regards sont fiévreux. Sidérés, certains murmurent : « Ça y est, on a perdu la présidentielle... » Dans un bureau, le candidat se creuse les méninges pour trouver une sortie de crise avec son comité politique. Personne n’ose affronter le patron, ni lui dire qu’il a commis une terrible erreur qui risque de lui coûter cher. Soudain, Brigitte Macron entre dans la pièce et tempête : « Mais qu’est-ce que tu as été dire comme connerie ? Ce n’est pas comme ça que tu vas devenir président de la République ! » Silence stupéfait dans la salle. Personne ne s’aventure à interrompre l’épouse, encore moins à la contredire. Un parlementaire raconte : « Le petit père Macron alternait entre regarder la pointe de ses chaussures et répondre : “On ne me parle pas comme ça.” Il ne se laissait pas faire, lui résistait. Les présents priaient pour que ça s’arrête, gênés d’assister à ce qui relevait d’une scène privée. C’était une fessée en public. Le savon du siècle. Tous savaient qu’il avait fait une connerie. Elle était la seule à oser le lui dire. »
Elle qui n’a jamais été élue au suffrage universel s’est vite acoquinée avec la petite bande d’élus qui a rejoint son mari, Gérard Collomb et Richard Ferrand en tête, ses favoris. Parfois, elle croise aussi François Bayrou, qui habite l’immeuble en face du leur, rue Cler, non loin de la tour Eiffel, dans le prestigieux 7e arrondissement de la capitale. En quittant Bercy, les Macron y ont pris un petit appartement avec une jolie terrasse, le temps de la campagne, où ils ont entassé leurs cartons. Parfois, le patron du MoDem traverse la rue pour prendre le petit déjeuner avec le candidat et poser les conditions de son ralliement. Brigitte Macron l’accueille, mais elle ne reste pas. « Ils habitaient en face, de l’autre côté de la rue. C’est assez drôle, on en parle souvent avec nostalgie et affection », se remémore le centriste.
Parfois, la future première dame décroche son téléphone pour jouer les messagères officieuses auprès d’une équipe rivale. La garde rapprochée de François Fillon en fait la surprenante expérience en plein « Penelopegate ». Anne Méaux, stratège de la communication du candidat des Républicains et patronne de la puissante société Image 7, se retrouve empêtrée dans la tourmente. Agacée, elle décide de hisser le drapeau blanc en faisant passer de discrets messages au camp Macron. La paranoïa bat son plein autour du champion des Républicains, où l’on accuse un jour le clan Sarkozy d’être à l’origine des révélations du Canard enchaîné, et le lendemain le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet, proche de François Hollande, soupçonné de rouler pour... Emmanuel Macron. Anne Méaux décide d’appeler Brigitte Macron pour en avoir le cœur net. Les deux femmes, sans être de proches amies, se connaissent bien. Elles ont de l’estime l’une pour l’autre, et partagent le même amour de la littérature et des langues anciennes. Elles ont chacune, cela rapproche, une maison au Touquet. C’est à Bercy, le 8 mars 2015, qu’elles ont fait connaissance. Ce jour-là, « la papesse de la com », comme on la surnomme, vient présenter au ministre de l’Économie son association Force Femmes qui promeut l’insertion professionnelle des travailleuses de plus de 45 ans. Brigitte Macron est présente, avec son mari. Les deux femmes sympathisent. Un peu plus d’un an après, lorsqu’elle est décorée du grade d’officier de la Légion d’honneur des mains du milliardaire François Pinault, Anne Méaux glisse le nom de l’épouse du ministre sur la liste très restreinte des célébrités conviées, au milieu de la fine fleur de la finance et de la politique : Valéry Giscard d’Estaing, François Baroin, Bernard Cazeneuve, Jean-Pierre Jouyet ou Grégoire Chertok, associé-gérant de la banque Rothschild. Quand elle décide d’épauler François Fillon pour sa campagne présidentielle, elle prend donc soin d’en informer l’épouse de son rival. Lorsque les coups se mettent à pleuvoir, les deux femmes se reparlent pour calmer le jeu, sans que personne ne le sache. Ou presque. Un jour qu’ils sont en réunion dans leur immense QG de 2 500 mètres carrés de la rue Firmin-Gillot, à deux pas de la porte de Versailles, dans le sud de Paris, les stratèges du candidat Fillon – absent ce jour-là – ont une drôle de surprise. Posé sur la table, le portable d’Anne Méaux se met à sonner. Éberlués, les élus présents voient s’afficher sur l’écran le nom de Brigitte Macron ! Ils l’entendent lui tenir à peu près ce langage : «Emmanuel et moi n’y sommes pour rien, Anne, je te le jure. »
Dans un registre plus cocasse, elle surveille la ligne de son mari, gourmand. Quelques jours après le premier tour, le candidat et son équipe font escale à Besançon, où le chef étoilé Thierry Marx, qui l’a rallié, possède une école de formation et un restaurant. « Emmanuel n’avait pas été très bon. Il n’avait pas mangé. Il était prévu qu’on bouffe chez Marx », raconte Christophe Castaner. L’équipe se régale d’avance à l’idée du festin. Raté ! Le patron décide de quitter la ville et de faire un arrêt rapide dans un restaurant Courtepaille. Sans se priver pour autant... « Le nombre de Courtepaille qu’on s’est enfilés. Brigitte n’était pas là, alors il a pris l’option frites ! », glousse Castaner. Le lendemain, tous se retrouvent à dîner. L’épouse du candidat est là, cette fois. Au moment de commander, Macron file doux : « Ce sera une petite salade pour moi. Le soir, avec Brigitte, on mange léger. »

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