La fille oubliée

Auteur : David Bell
Editeur : Actes Sud Editions
En deux mots...

Dans ce quatrième roman, David Bell continue d’explorer les thèmes de la disparition et des liens familiaux. Procédant par une succession de scènes dialoguées conçues comme autant d’enquêtes psychologiques, il se livre à rebours, et de titre en titre, à une passionnante généalogie du trauma familial.

Traduction : Manuel Tricoteaux
22,80 €
Parution : Novembre 2018
346 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-1431-2
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Présentation de l'éditeur

Un jour, le passé frappe à l'improviste à la porte de Jason Danvers. Sa petite soeur Hayden, qu'il n'a pas vue depuis des années, prétend avoir arrêté la drogue et l'alcool qui l'avaient marginalisée et éloignée des siens. Elle lui demande une faveur : s'occuper de sa fille Sierra pendant quarante-huit heures, le temps de régler une affaire. Mais Hayden ne revient jamais. Pire, cette disparition réveille une autre affaire non résolue : la disparition de Logan, le meilleur ami de Jason, vingt-sept ans plus tôt, le soir de leur remise de diplômes, après une violente dispute entre les deux jeunes garçons. Bientôt, on retrouve un cadavre dans les bois voisins. S'agit-il de sa soeur ? De Logan ? Captivante enquête psychologique, David Bell procède à une passionnante généalogie du trauma familial.

Extrait

L’inspecteur entra dans la pièce. Il portait une veste de sport et une cravate. Son col de chemise était ouvert. Sans un regard pour Jason, il laissa tomber un petit carnet sur la table, tira une chaise et s’assit. Il ouvrit le carnet et se mit à lire.
“Je peux y aller ? demanda Jason. Vous aviez dit que ce serait pas long.
— Du calme, dit l’inspecteur.
— Vous aviez dit que ce serait juste une conversation amicale, que j’avais pas besoin d’un avocat ni de mes parents.”
L’inspecteur leva les yeux.
“Je ne me suis pas montré amical ?” Il désigna la canette de Coca vide sur la table. “Je t’ai fait apporter un soda.” Il ferma le carnet et sourit d’un air forcé. “On a presque fini. Je veux juste revenir sur certaines choses dont on a parlé. Bon, tu as dit que toi et ton ami, Logan Shaw, vous vous êtes sérieusement battus l’autre soir. Tu m’as dit que tu lui avais collé quelques bonnes droites.
— Une, dit Jason. Une bonne droite.
— Une bonne droite, répéta l’inspecteur. Quelquefois il n’en faut pas plus. Et vous vous battiez à propos d’une fille ?
— Oui. Regan.
— Regan Maines.” L’inspecteur hocha la tête. “Donc vous vous battez pour une fille. Bon, jusque-là pas de quoi fouetter un chat, pas vrai ? C’est de votre âge, tout ça. Et tu finis par en coller une bonne à ton ami. Là encore, rien d’extraordinaire. Qui ne s’est jamais bagarré avec un de ses amis ? Ça arrive tout le temps, pas vrai ?
— Je ne m’étais jamais battu avant.
— Jamais ?
— Jamais.”
L’inspecteur prit un air désapprobateur.
“D’accord. Tout le monde ne se bat pas avec ses amis. Donc tu te bats avec ton ami, tu le flanques par terre, et il s’en va dans les bois parce qu’il est en rogne contre toi. Tu as même dit qu’il pleurait un peu, c’est bien ça ?
— Oui.
— Est-ce que tu pleurais, toi aussi ? demanda l’inspecteur, un début de ricanement au coin des lèvres.
— Peut-être bien. Oui.
— Et tu as dix-huit ans ?
— Je voudrais appeler mon père, dit Jason.
— Du calme. On a presque fini. Je le connais, ton père.
C’est un type bien.” L’inspecteur se gratta la tête. “Bon, tous ces trucs que t’as faits, ça me paraît plutôt normal, à part peut-être les larmes. Mais après ça, après que ton ami est parti dans les bois et que tu ne le vois plus, c’est là que ça me pose problème. Tu vois, il y a un truc que je comprends pas. Ton ami disparaît après que lui et toi vous vous êtes disputés, et tu sais que tout le monde le cherche. D’ailleurs, son père, M. Shaw, est bouleversé par la disparition de son fils. Bouleversé.
— Il s’en souciait pas tant quand Logan était là.
— Hé, fit l’inspecteur, joue pas au malin. C’est un bon père. Un pilier de notre communauté. Il fait toujours ce qui est juste. En parlant de ce qui est juste... tu savais que tous ces gens cherchaient Logan, le type que tu as tabassé, et pourtant, tu ne nous as rien dit de cette bagarre. Tu me dis si je me trompe. Pas la première fois qu’on t’a parlé. Tu as dit qu’il avait l’air normal la dernière fois que tu l’as vu. Et puis quelques heures plus tard, le temps qu’on interroge d’autres personnes et qu’on revienne te voir, tu t’es décidé à nous en parler. Tu vois pourquoi j’y comprends rien ?
— Je vous l’ai dit, j’étais en colère contre Logan.
— C’est pour ça que tu l’as rétamé. Parce qu’il voulait ta copine...
— Non, c’est pour ça que je ne vous ai pas parlé de la bagarre la première fois que vous êtes venu à la maison. Logan, il peut être...
— Quoi ? Il peut être quoi ?
— Ben, manipulateur. Il a des sautes d’humeur. Je me suis dit qu’il était juste furax et qu’il voulait s’en prendre à nous en disparaissant quelque temps. Il savait qu’on finirait par s’inquiéter. Je ne voulais pas lui donner la satisfaction de marcher dans son truc. Mais quand vous êtes revenu à la maison et que j’ai compris que les gens étaient vraiment inquiets... son père, par exemple... là je vous ai dit qu’on s’était battus. Ce n’était que quelques heures plus tard. Et rien n’a changé depuis. Mon histoire n’a pas bougé depuis trois jours.
— Tu en es sûr ?
— Évidemment...”
On frappa à la porte. L’inspecteur se leva et alla ouvrir.
C’était un officier de police en uniforme. Les deux hommes échangèrent à voix basse puis l’inspecteur hocha la tête.
“Dis-lui qu’on va sortir. On a fini.” Il ferma la porte et revint à la table. “Ton père est là.
— Tant mieux.
— Avant que tu partes, je voudrais te poser une dernière question. Où est Logan Shaw, à ton avis ?”
Jason se redressa sur sa chaise. Il regarda le visage de l’inspecteur, les rides profondes, les yeux fatigués. Il avait presque pitié de lui – presque.
“Aucune idée. Il parlait tout le temps de partir.
— Tu crois qu’il l’aurait vraiment fait ? Son père et sa mère sont ici. Ses amis. La famille a pas mal d’argent. Il aurait fui tout ça ?”
Jason réfléchit à la question avant de répondre.
“Parfois je me dis que Logan est capable de n’importe quoi.”

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