Les tribulations d'Arthur Mineur

Auteur : Andrew Sean Greer
Editeur : Jacqueline Chambon

Prix Pulitzer 2018. Arthur Mineur est en pleine crise existentielle. 50 ans, célibataire, il est l'auteur d'un roman qui l'a fait connaître, mais il n'a, depuis, publié que des livres au succès mitigé. Le jour où il reçoit un carton lui annonçant le mariage de son ex-compagnon, il décide, pour y échapper, d'accepter les invitations d'obscurs festivals de littérature dans différents pays. C'est le début d'un périple littéraire, sentimental et humain autour du monde... Un roman où les difficultés et les obstacles de la vie se changent en bulles humoristiques à l'extraordinaire et salvatrice légèreté.

Traduction : Gilbert Cohen-Solal
22,00 €
Parution : Janvier 2019
288 pages
ISBN : 978-2-3301-1807-5
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La presse en parle

Les goûts et les couleurs, ça se discute. Que le nouveau bouquin d'Andrew Sean Greer soit aimable et fringuant ne fait pas de doute. De là à lui attribuer le prix Pulitzer de la fiction 2018, il y a une marge. Un cosmos. On est à des années-lumière du Chant du bourreau, de Norman Mailer, de Beloved, de Toni Morrison ou de La Route, de Cormac McCarthy, les précédentes oeuvres primées. Celles-là sont passées à la postérité. Les tribulations d'Arthur Mineur ne feront que traverser. Rien de remarquable à se caler dans la mémoire, juste quelques heures de lecture réellement plaisantes. Une élégance de dandy dans la forme, une nostalgie surannée dans le fond.
Sandra Benedetti, l'Express


C'est drôle, raffiné, plein d’autodérision, avec des images inventives, des répliques assassines et des photographies caustiques, comme celle de ces touristes en terrasse dans le quartier juif à New York, "avec d'énormes menus et une expression de désarroi". Ce roman tire son charme fou du fait qu'il ne se la joue pas "majeur ". Il n'a pas volé du coup son prix Pulitzer l'an dernier.
Bernard Quiriny, Le Nouveau Magazine Littéraire

Extrait

Entrée en scène en mineur
De mon point de vue, l’histoire d’Arthur Mineur ne semble pas se dérouler si mal, somme toute.
Il faut le voir, un peu raide dans le canapé circulaire et douillet du hall de l’hôtel. En costume bleu et chemise blanche, les jambes croisées, il balance l’un de ses mocassins bien cirés au bout de son pied. Il se tient comme un jeune homme. Et, de fait, il a conservé l’allure de sa jeunesse. Mais, à près de cinquante ans, il évoque l’une de ces statues de bronze que l’on trouve dans les parcs, et qui sont superbement patinées par le temps, jusqu’à prendre la teinte des arbres qui les entourent, excepté à l’endroit du genou qui a la chance de continuer de briller, sans cesse caressé par les écoliers. C’est ce qui est arrivé à Arthur Mineur, qui fut paré de rose et d’or en ses jeunes années, et dont l’éclat semble aujourd’hui adouci, comme le tissu de ce sofa où il se tient. Il se tapote le genou tout en fixant la grande horloge du hall de l’hôtel. Son long nez aristocratique, tout le temps brûlé par le soleil, même en ce mois d’octobre nua- geux à New York, sa chevelure d’un blond passé, trop longue sur le haut de son crâne et trop courte sur les côtés : c’est tout le portrait de son grand-père. D’ailleurs, il a les mêmes yeux bleu clair que lui. Si l’on tendait l’oreille, on pourrait percevoir l’angoisse qui bat de plus en plus fort en lui, tandis qu’il fixe l’horloge des yeux ; mais elle ne donne malheureusement plus l’heure : elle s’est arrêtée une quinzaine d’années plus tôt. Arthur Mineur, bien sûr, n’en sait rien : il croit toujours fermement, parvenu à l’âge mûr, que les person- nes chargées de guider les participants lors d’événements littéraires arrivent pile à l’heure, et qu’on peut aussi compter sur les grooms pour remonter les horloges du hall d’accueil des hôtels. Il ne porte pas de montre ; foncièrement, il fait confiance. Pure coïncidence, l’horloge s’est arrêtée à six heures et demie, presque exactement à l’heure où l’on doit venir le chercher pour l’événement du soir. Il ne le sait pas, le pauvre, mais il est déjà sept heures moins le quart.
Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage mar- ron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mou- vements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe. Mineur ne remarque pas son manège, trop polarisé qu’il est par cette horloge qui ne lui donnera jamais l’heure exacte. La jeune femme se dirige vers le comptoir du réceptionniste, puis vers l’ascenseur, faisant au passage sursauter un groupe de dames dont les robes de soirée, très habillées, indiquent qu’elles vont au théâtre. Arthur balance toujours son mocassin au bout de son pied. S’il y prêtait attention, il entendrait peut-être cette question, répétée cent fois, et comprendrait pourquoi cette femme, qui interroge tout le monde dans le hall de l’hôtel, ne lui pose à aucun moment sa question, à lui :
– Excusez-moi... Mais est-ce que c’est vous, madame Arthur ?
Le problème (et cette confusion ne va d’ailleurs pas se dissiper tout de suite, dans le hall de cet hôtel), c’est que l’accompagna- trice qui vient le chercher est persuadée qu’Arthur Mineur est une femme.
Pour sa défense, elle n’a lu qu’un seul de ses romans, en version numérique et sans photo de l’auteur, et elle a trouvé « la narra- trice » si fascinante, si convaincante, qu’elle en a déduit que seule une femme pouvait écrire de cette manière ; et que ce nom, Arthur, était sûrement un exemple de ces curieux usages américains (elle est japonaise) qui permettent d’appeler de la même façon un homme ou une femme. Une critique si élogieuse est une chose inhabituelle pour Arthur Mineur ; cela dit, pour le moment, il ne serait guère en mesure de l’apprécier, toujours assis qu’il est dans ce canapé circu- laire, planté en son centre d’un palmier aux feuilles luisantes. Parce que, maintenant, il est sept heures moins dix.
Arthur Mineur se trouve à New York depuis trois jours. Il est venu interviewer le célèbre auteur de science-fiction H. H. H. Man- dern, pour fêter la sortie de son nouveau roman. On y voit le retour du personnage de Peabody, son robot à la Sherlock Holmes, qui jouit d’une immense popularité. Dans le monde littéraire, c’est une nouvelle qui fait la une et qui draine beaucoup d’argent, en espèces sonnantes et trébuchantes. Cette importance de l’argent, Mineur l’a déjà perçue, au téléphone, dans cette voix qui l’a appelé un beau jour pour lui demander s’il connaissait bien l’œuvre de H. H. H. Man- dern, et s’il était disponible pour interviewer l’écrivain. On a aussi parlé argent dans les messages que l’attaché de presse lui a fait par- venir pour lui indiquer les questions qu’il faudrait absolument éviter de poser à Mandern (concernant sa femme, ou sa fille, ou encore son recueil de poésies qui a reçu un accueil pour le moins mitigé). Et de l’argent, on en a également beaucoup dépensé pour choisir le lieu des festivités. Ou encore pour les affiches publici- taires placardées partout dans le Village. De l’argent, aussi, pour faire en sorte que la baudruche représentant Peabody se dresse, à l’extérieur du bâtiment, luttant contre le vent. De l’argent, on en a même dépensé pour choisir l’hôtel qu’on a réservé pour Arthur ; là, on lui a présenté, en guise de bienvenue, et « avec les compli- ments de la maison », une pyramide de pommes mises gracieuse- ment à sa disposition à toute heure du jour et de la nuit. Dans un monde où la plupart des gens lisent un seul livre par an, on inves- tit de grosses sommes sur ce livre-là, avec l’espoir que cette soirée soit le coup d’envoi d’un succès. Et tout cela repose sur les épaules d’Arthur Mineur.

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