Jours redoutables

Auteur : A. M. Homes
Editeur : Actes Sud

Sous le lustre d’une villa hollywoodienne sans odeur, sans couleur, sans bruit et presque sans nourriture, les solitudes et terrifiantes angoisses d’une famille obsédée par la surface des choses. Quelque part en Europe, les blessures invisibles d’un fils de divorcés qui, devenu adulte, tente de retrouver le paradis perdu de son enfance en refaisant le voyage vers Disneyland en Californie.
Un photographe de guerre et une romancière qui se redécouvrent à l’occasion d’une conférence sur les génocides et trouvent un réconfort spirituel et physique dans les traditions anciennes. Au beau milieu d’un forum de discussion dédié aux oiseaux de compagnie, les échanges à la fois tendres et désespérés entre un soldat basé en Afghanistan et une collégienne de l’Upper East Side, tous deux aux prises avec la violence de leur environnement. Un Américain moyen propulsé candidat à la présidentielle alors qu’il fait ses courses en famille…

Ces douze nouvelles, d’une vivacité mordante, explorent nos attachements les uns aux autres à travers des personnages qui ne sont pas tout à fait ce qu’ils espéraient devenir. Avec l’humour, le tranchant et la compassion qui la caractérisent, A. M. Homes expose le cœur à vif d’une Amérique mal à l’aise.

Traduction : Yoann Gentric
22,00 €
Parution : Novembre 2020
331 pages
ISBN : 978-2-3301-3506-5
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Extrait

DIMANCHE, FRANGIN
Elle est au téléphone. Il la voit en reflet dans le miroir de la salle de bains, l’oreillette en position, comme si elle était contrôleuse aérienne ou agente du Secret Service. “Tu en es sûre ? chuchote-t-elle. Je n’arrive pas à le croire. Je refuse de le croire. Si c’est vrai, c’est épouvantable... Bien sûr que je ne sais rien ! Si je savais quelque chose, je te le dirais... Non, il ne sait rien non plus. S’il savait quelque chose, il me le dirait. Nous nous sommes juré de ne rien nous cacher.” Elle se tait un instant, écoute. “Oui, bien sûr, pas un mot.”
“Tom, lance-t-elle. Tom, tu es prêt ?
— J’arrive”, dit-il.
Il s’examine dans le miroir de maquillage de sa
femme. Il hausse les sourcils, montre ses dents, sourit. Puis sourit encore, plus fort, découvrant ses gencives. Il penche la tête à gauche, à droite, recense les ombres portées. Il allume le miroir et le tourne du côté loupe. Un fin trait d’argent apparaît dans le reflet ; il y a un gros plan de peau, le scintillement d’une pointe d’aiguille, le tout nimbé d’un halo de lumière. Il cligne des yeux. L’aiguille s’enfonce dans la peau ; il tient la seringue d’une main sûre. Il en injecte un peu par-ci, un peu par-là ; ce ne sont que des retouches, de petites recharges. Plus tard, quand quelqu’un lui dira : “Tu as bonne mine !”, il sourira et son visage s’infléchira doucement mais ne laissera paraître aucune ride. “J’ai un très bon docteur”, répondra-t-il. Il rebouche la seringue, la glisse dans la poche de sa chemise, lève la lunette des toilettes et pisse.
Lorsqu’il sort de la salle de bains, sa femme, Sandy, est là dans la chambre, à attendre. “C’était qui ? demande-t-il.
— Sara”, dit-elle.
Il attend, sait que son silence l’incitera à en dire plus.
“Susie a appelé Sara : elle craint que Scott ait une liaison.”
Le plus honnêtement du monde, il répond : “Scott est bien la dernière personne que j’imaginerais avoir une liaison.
— Elle n’en est pas sûre – ce n’est qu’un soupçon.” Sandy fourre sa tunique de plage dans un sac en toile et tend son appareil photo à Tom. “Tu ne peux pas sortir sans ça, dit-elle.
— Merci. Tu es prête ?
— Regarde mon dos, dit-elle. J’ai senti quelque chose.” Elle se tourne, soulevant son chemisier.
“Tu as une tique”, dit-il en la lui retirant.
Quelque part dans la maison de vacances, une sonnerie retentit. “Les serviettes sont sèches, dit-elle.
— On prend du vin ? demande-t-il.
— J’ai pris une bouteille de champagne et du jus d’orange. On est dimanche, après tout.
— Mon frère vient, après tout”, dit-il. Son frère, Roger, passe sur la côte une fois par an, comme une tempête tropicale qui change tout.
“C’est une belle journée”, dit-elle. Et elle a raison.

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