La nature de la bête

Auteur : Louise Penny
Editeur : Actes Sud

Chaque jour, Laurent Lepage invente une catastrophe : des arbres qui marchent, un débarquement d'extraterrestres... Plus personne ne croit le garçon de neuf ans. Pas même Armand Gamache, qui a pris sa retraite à Three Pines. Cependant, quand l'enfant disparaît, il faut bien envisager que l'une de ses histoires soit vraie. Une traque effrénée et digne des plus grands romans d'espionnage se met en branle lorsque Gamache et ses anciens lieutenants de la SQ, Jean-Guy Beauvoir et Isabelle Lacoste, déterrent l'authentique canon géant de Gerald Bull, ingénieur en armement assassiné à Bruxelles il y a vingt-cinq ans. Un monstre est autrefois venu à Three Pines, il y a semé le malheur et ce dernier est de retour. En refusant de prêter foi à un enfant, l'ex-inspecteur-chef n'a-t-il pas joué un rôle funeste dans ce qui est arrivé ?

Traduction : Paul Gagné, Lori Saint-Martin
23,00 €
Parution : Juillet 2020
480 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-3554-6
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Extrait

Courir, courir, trébucher. Courir.
Un bras levé pour repousser les branches souples qui lui cinglaient le visage. Dans le noir, il ne vit pas la racine. Il tomba, ses mains ouvertes s’enfonçant dans la mousse et la boue. Son fusil d’assaut lui échappa, rebondit et roula hors de sa vue. Les yeux exorbités, Laurent Lepage, affolé à présent, balaya le sous-bois du regard et, à tâtons, fouilla dans les feuilles mortes et pourrissantes.
Il entendait des pas derrière lui. Des bottes qui martelaient le sol. Fort. Il sentait presque la terre tanguer à leur approche, tandis que, à quatre pattes, il écartait les feuilles.
— Allez, allez, supplia-t-il.
Et alors ses mains couvertes d’égratignures et de crasse se refermèrent sur le canon du fusil d’assaut et, se relevant, il se remit à courir. Penché. Haletant.
Il avait l’impression que sa fuite durait depuis des semaines, des mois. Toute une vie. Et, pendant qu’il sprintait à travers bois, évitant les troncs des arbres, il sut que sa cavale prendrait bientôt fin.
Mais, dans l’immédiat, il courait, si grande était sa volonté de survivre. Si grand son besoin de protéger sa découverte. S’il ne pouvait pas mettre cet objet à l’abri, peut-être pourrait-il s’assurer, au moins, que ses poursuivants ne le trouveraient pas.
Il n’avait qu’à le cacher. Ici, dans cette forêt. Et le lion dormirait ce soir. Enfin.
Bang. Bangbangbang. Autour de lui, des arbres explosèrent, taillés en pièces par les balles.
Il plongea et boula et atterrit derrière une souche, ses épaules en appui sur le bois pourri. Sans protection.
Durant les derniers instants, ses pensées ne se tournèrent pas vers ses parents, chez eux dans leur petit village du Québec. Non plus que vers son chiot, adulte désormais. Il ne songea ni à ses amis, ni aux jeux organisés dans le parc du village en été, ni aux glissades étourdissantes sur la colline, ni à la vieille poète folle qui les menaçait du poing en hiver. Il ne songea pas non plus au chocolat chaud qui, à la fin de la journée, les attendait devant la cheminée, au bistro.
Il ne pensait qu’à descendre ceux qui entreraient dans son champ de vision. Et à gagner du temps. Peut-être, peut-être réussirait-il ainsi à cacher la cassette.
Et alors, peut-être, peut-être les habitants du village seraient-ils en sécurité. Et ceux des autres villages aussi. L’idée qu’il servirait à quelque chose lui procurait un certain réconfort. Son sacrifice profiterait à tous, en particulier à ses êtres chers et à son chez-lui bien-aimé.
Il souleva son arme, visa et appuya sur la détente.
— Bang, fit-il en sentant le fusil d’assaut pousser contre son épaule. Bangbangbangbangbang.
En première ligne, ses poursuivants furent fauchés.
Il bondit et roula derrière un arbre robuste sur lequel il s’appuya, si fort que l’écorce rugueuse entama la chair de son dos. Il se demanda si l’arbre risquait de se renverser. Il serra son fusil contre sa poitrine. Son pouls était affolé. Il sentait son cœur dans ses oreilles. Ses battements menaçaient d’enterrer tous les autres sons.
Celui des pieds qui s’approchaient rapidement, par exemple.
Laurent tenta de se stabiliser. De calmer sa respiration. Ses tremblements.
On s’en était déjà pris à lui, se rappela-t-il. Et il s’en était toujours sorti. Toujours. Cette fois-là aussi, il y arriverait. Et il aurait droit à une boisson chaude et à une viennoiserie. Et à un bon bain.
Et toutes les horreurs qu’il avait commises et s’apprêtait à commettre s’écouleraient avec l’eau du bain.

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