Les Pionniers

Auteur : Ernest Haycox
Editeur : Actes Sud

Ils viennent du Missouri et ont tout abandonné dans l’espoir de trouver une terre à des milliers de kilomètres de leurs foyers. Ce voyage où ils affrontent les rapides, le froid, les pluies diluviennes qui vous transpercent, la faim, constitue une suite d’épreuves exténuantes que Haycox restitue avec une ampleur, un lyrisme, une vérité inégalés. Le cinéma, à de rares exceptions près, paraît timide, aseptisé, face à l’acuité d’un tel livre. Parvenus à destination, les survivants doivent construire un nouveau monde avec ses règles, ses usages et ce malgré les rivalités, les préjugés raciaux, les barrières de classes. Les Pionniers est l’un des très grands romans, sinon le plus grand, le plus lucide, sur la colonisation, l’apprentissage de la civilisation, avec les conflits que celle-ci entraîne entre une vision humaniste et les pulsions de violence, entre les intérêts particuliers et le sens de la collectivité. Peut-être le grand œuvre de Haycox, cet immense écrivain qu’admirait Ernest Hemingway, qui marie le souffle de l’épopée à la chaleur de l’intime, avec d’inoubliables personnages de femmes. À coup sûr son livre testament, et rien moins qu’un chef-d’œuvre de la littérature américaine.

Traduction : Fabienne Duvigneau
24,00 €
Parution : Janvier 2021
576 pages
ISBN : 978-2-3301-4379-4
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Extrait

Une pluie battante, cinglante, détrempa son manteau de laine pendant qu’il harnachait les chevaux de bât et le froid s’insinua dans ses os. Il frotta la selle mouillée avec sa manche avant de monter. Des vagues de sable arraché à la falaise se ruèrent à l’assaut de son visage, et quand il baissa la tête, l’eau accumulée dans le bord de son chapeau inonda son entrejambe. Le vent bousculait la terre, rugissant à ses oreilles tel un long cri perçant lâché sur le monde.
“Hup-hup.”
Les chevaux s’ébranlèrent en file indienne, suivis par les deux vaches et les quatre bœufs qui balançaient la tête en cherchant vainement à brouter. Il enfonça son chapeau à deux mains et traversa un campement d’une centaine de chariots – leurs bâches jetant une pâle lueur dans le gris du sable et de la pluie –, rassemblés sur une étroite langue de lave prise entre la falaise et le fleuve. Les éléments furieux malmenaient violemment les flammes jaunes des feux autour desquels se détachaient des formes sombres, assises ou s’affairant ; et partout dans le camp cheminait un bétail livré à lui-même, en route vers l’ouest et vers un autre mur de brume.
Au bord de l’eau, des radeaux dansaient sur les flots tumultueux, certains inachevés, d’autres alourdis par des chariots déjà arrimés, attendant le départ ; car, après trois mille kilomètres et cinq mois de voyage par voie de terre, cette caravane de quatre cents personnes se préparait à franchir les cent cinquante derniers kilomètres qui la séparaient de l’Oregon en descendant les rapides au cœur des Cascades.
Rice Burnett arrêta ses bêtes devant un grand radeau où deux chariots – ceux de Lattimore et de Collingwood – avaient été solidement attachés. Sur le banc de lave, l’amarre enroulée autour de son corps mince qui basculait d’avant en arrière, Lattimore luttait pour retenir la lourde embarcation. La pluie s’écoulait de son chapeau défoncé comme d’un toit au-dessus de ses oreilles, et son visage trahissait la fatigue d’un homme atteint de malaria.
“Saleté de pays”, dit-il d’une voix qui n’était qu’un murmure dans le hurlement du vent. “Si je m’étais attendu à ça, je ne serais pas venu. Je suis prêt, mais Collingwood est encore en train de serrer des mains quelque part...”

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