Dernières nouvelles: Et autres nouvelles

Auteur : William T. Vollmann
Editeur : Actes Sud
Sélection Rue des Livres

Par l’auteur de La Famille royale et de Central Europe (National Book Award 2005), une incursion aussi magistrale qu’envoûtante dans les territoires infinis du surnaturel à travers des histoires de fantômes, de vampires ou autres créatures démoniaques vaquant à leurs magiques ou funestes besognes des Balkans au Japon en passant par le Mexique ou les États-Unis. Au fil de ce kaléidoscope narratif placé sous le double signe de la mort et de l’érotisme, William Vollmann met à contribution la diversité culturelle des mythologies et joue avec les codes du roman d’aventures, du thriller politique, du fantastique, de l’horreur, ou de la "simple" fiction littéraire, pour transporter le lecteur dans un univers fantastique où l’amour et le désir ne cessent de rendre possible l’inimaginable même.

Traduction : Pierre Demarty
28,00 €
Parution : Février 2021
884 pages
ISBN : 978-2-3301-4461-6
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La presse en parle

Fiction, non-fiction, Histoire ou histoires... Les nomenclatures sont toujours trop étroites pour l’écrivain. (…) Dernières nouvelles est un ballot de récits reliés entre eux par ce fil rouge tressé de deux motifs que sont le désir et la mort. (...) Si chez Vollmann la narration a parfois des airs de reportage, on est loin du servile mimétisme censé rendre compte d’une vérité « objective ». L’écrivain, à ses heures journaliste, sert la vérité mais au prisme assumé de la subjectivité. L’acuité d’un regard qui saisit une scène discrète, un geste furtif - un détail qui ne tue pas tant qu’il ne prolonge la vie d’un personnage au-delà des mots.
Sean James Rose, Livres Hebdo


Pour l’écrivain, qui s’est aventuré sous toutes les latitudes, de Sarajevo à Fukushima, des étendues sauvages du pôle Nord aux alcôves capitonnées de Tokyo, la littérature est un défi, un tour de force permanent, elle ne peut s’envisager autrement. La parenthèse qu’il s’offre, au pays des défunts, est un étourdissant débordement d’énergie, ses Mille et Une Nuits à lui, une profusion de récits qui se nourrissent de tous les styles, tous les siècles, toutes les cultures, toutes les croyances, pour explorer la mort et la mort seule, son univers foisonnant, ses mondes parallèles, son peuple extravagant de fantômes, de vampires, de goules, de beautés fatales, de créatures assoiffées de sexe s’épanouissant dans les magnificences d’un décor en putréfaction.
Laurent Rigoulet, Télérama

Extrait

Ceci est mon dernier livre. Toute publication ultérieure portant mon nom sera l’œuvre d’un fantôme. En regardant ce bas monde défiler sous ma fenêtre, je me demande comment il aurait fallu que je vive. À présent qu’il semble trop tard pour changer celui que j’ai été, je me refuse à me plaindre ; je n’ai d’ailleurs qu’un seul regret, celui de voir le plaisir toucher à sa fin. Là où il y a une rose, dit l’antique Gulistān, il y a une épine ; et quand le vin a été bu, il y a une gueule de bois ; là où un trésor fut enterré, il y a un serpent; là où il y a une noble perle, il y a des requins; la douleur de la mort succède aux plaisirs de la vie, et les délices du Paradis sont dissimulés par un mur de souffrance. – Ce mur de souffrance, voulez-vous bien le considérer en ma compagnie ? Vus à travers les verres grossissants de mon défunt père, ses agrégats de feuilles ensanglantées ressemblent à du corail ou à des œufs brouillés, tout délavés et mélangés par des brumes d’aquarelle. Et maintenant comptons ensemble ses vignes et serpents !
Si vous voulez bien me faire l’amabilité de vérifier mon décompte, je promets de prouver que, si funeste soit-il, notre mur de souffrance n’en demeure pas moins vert et savoureux. Il se pourrait même qu’une piqûre de ce lierre vénéneux, là-bas, provoque un orgasme ; car ses feuilles présentent des taches d’une indéniable délicatesse, et l’on distingue quelques gouttes de rosée vermillon sur ses soies urticantes. Et n’oubliez pas de lécher Malkuth, le Miroir sans Lumière ! Certains parmi vous s’y refuseront peut-être, conformément à l’axiome : Ceci n’arrivera pas à Makso. Mais pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour donner un grand bal costumé, si tant est que le trou dans la terre se révèle assez vaste pour l’accueillir ? Pour ma part, même quand je danse, je brûle de tout décrire – notamment les éléphants dont la trompe tressée s’orne de larges fleurs, et les singes verts dressés sur la tête des éléphants – car ce que la “postérité” se refuse à censurer, le temps se chargera de le corrompre, conduisant de futures générations de joyeux ignares à imaginer que notre mur de souffrance ne fut jamais rien qu’une haie de buissons gris, aussi lisez-moi maintenant ! Car je vois de la beauté ; je conserve mes espoirs sexuels ! Voyez cet iguane à crête, là-bas, à la face bleuie et à la chair striée de blanc ; la façon dont il me regarde tout en rampant lentement le long d’une branche m’évoque irrésistiblement les joies de la miscégénation. Après avoir entendu cela, répugnez-vous encore à vous approcher plus près ? Cueillez une rose avec moi ; goûtez d’une coupe amère – à moins peut-être que vous ne préfériez plonger tout au fond de votre propre cloaque pour en extraire de nobles perles ?
L’infini, j’en suis certain, vous ouvrira grands les bras en cette contrée bleue, verte et nuageuse. Ou si encore vous préférez les doctrines aux sensations, je serai votre guide et vous ferai franchir les barbelés, passer devant la tombe de Makso (et la mienne) pour atteindre enfin à la Dernière Prairie, où mon prophète à barbe moussue favori a presque achevé de calculer la réponse au test d’intelligence suivant : Vaut-il mieux tout perdre rapidement ou lentement – ou mieux encore ne jamais être né ? Il m’a déjà enseigné les noms des anges maléfiques. Il dit : Il n’est aucun moyen par quoi ceux qui sont nés un jour puissent échapper à la mort. Aussi les sages ne se lamentent-ils pas, car ils connaissent les termes de ce monde. – Je placerai ma foi en lui – tant qu’il me sera donné de me blanchir le visage et de danser avec un iguane. Mon prophète me laisse entendre que les deux sont possibles. Il gère un salon de barbier à ses heures perdues. Il vous rougira les joues et les lèvres pour trois fois rien. Quand les putains ne pourront plus rien pour vous, laissez-le donc vous vendre un trou ! Il m’a montré comment jouer avec la mort comme le fit Newton avec des cailloux de pensée. Du temps qu’il n’avait pas encore reçu la lumière, il se faisait du souci à l’idée de la tristesse que vous et moi pourrions éprouver en apprenant combien nous sommes insignifiants. Lui-même est considérable.
Il dit : Vous aussi un jour comprendrez, pour peu que vous continuiez de suivre le chemin de la souffrance. – C’est lui qui le premier m’a conduit au fleuve pâle qui est blanc le matin et brun l’après-midi. Au fil de cette crayeuse voie de vaisseaux rouillés et de bateaux fuselés naviguent des gens que j’ai connus jadis ; ils débarquent dans divers terminaux, et ensuite, en un lieu où je ne suis jamais allé, tous autant qu’ils sont, ces riches cohortes aux parapluies rouges ou jaunes, ces pauvres hommes portant leurs sacs sur la tête, ces femmes aux cheveux longs vêtues de robes à motifs fleuris, ils déferlent du dernier ferry sous la pluie. N’est-ce pas Makso que je viens d’apercevoir là-bas ? Et mon joli lézard ne vient-il pas de prendre la fuite ? Aiguisant son rasoir, mon prophète me conseille de me ménager mes propres distractions. Je pourrais tout aussi bien passer la nuit entière ici, à peaufiner ces dernières nouvelles jusqu’à ce qu’elles soient bonnes à enterrer.

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