Sidérations

Auteur : Richard Powers
Editeur : Actes Sud

Dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, un père embarque son jeune fils souffrant de troubles du comportement dans une sidérante expérience neuroscientifique. Richard Powers signe un nouveau grand roman questionnant notre place dans le monde et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.

Traduction : Serge Chauvin
22,00 €
Parution : Septembre 2021
288 pages
ISBN : 978-2-3301-5318-2
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Extrait

Mais alors, on risque de ne jamais les trouver ?
Nous avions installé le télescope sur la terrasse, par une claire soirée d’automne, à la lisière d’une des ultimes poches de ténèbres de l’Est des États-Unis. C’était dur à dénicher, des ténèbres aussi belles, et ainsi concentrées en un seul lieu elles illuminaient le ciel. Nous avons pointé la lunette vers une trouée entre les arbres, au-dessus de notre cabane de location. Robin a écarté son œil du viseur : mon triste et singulier garçon au bord de ses neuf ans, en porte-à-faux avec ce monde.
“Tu as absolument raison. On risque de ne jamais les trouver.”
Je m’efforçais toujours de lui dire la vérité, dès lors que je la connaissais et qu’elle n’était pas mortelle. Quand je mentais, de toute façon, il le sentait.
Mais il y en a partout, non ? Vous l’avez prouvé, les mecs.
“Enfin, pas vraiment prouvé.”
Peut-être qu’elles sont trop loin. Qu’il y a trop d’espace vide, un truc comme ça.
Ses bras firent des moulinets, comme toujours quand les mots lui faisaient défaut. L’heure du coucher approchait, ce qui n’arrangeait rien. Je posai la main sur sa tignasse châtain-roux. Du même roux qu’elle – Aly.
“Et si par hasard on n’entend jamais le moindre son venir de là-haut ? Qu’est-ce que ça indiquerait ?” Il me fit taire d’un geste de la main. Alyssa disait souvent que quand il se concentrait, on entendait les rouages. Ses yeux se plissèrent, plongés vers le sombre ravin d’arbres en contrebas. Son autre main rabotait sa fossette au menton – une autre de ses habitudes quand il réfléchissait. Il rabotait avec tant
de vigueur que je dus intervenir.
“Hé, Robbie ! Il est temps d’atterrir.”
Sa paume fusa pour me rassurer. Tout allait bien.
Il voulait simplement s’abandonner à la question une minute encore, jusque dans le noir de la nuit, tant que c’était possible.
Tu veux dire si on n’entendait jamais rien, jamais jamais ?
J’encourageai mon petit scientifique d’un hochement de tête – vas-y en douceur. Finie pour ce soir, la contemplation des étoiles. Nous avions eu droit à la plus claire des soirées, en une région connue pour ses pluies. La lune du chasseur flottait sur l’horizon, pleine, grasse et rouge. Encadrée par le cercle d’arbres, si nette qu’elle semblait à portée de main, la Voie lactée se déversait, tels d’innombrables gravillons mouchetés dans le lit noir d’un torrent. En retenant son souffle, on pouvait presque voir les étoiles tournoyer.
Rien de probant. Voilà ce que ça indiquerait.
J’éclatai de rire. Il me faisait rire au moins une fois par jour, de bon cœur. Cet esprit rebelle. Ce scepticisme radical. Il était tellement moi. Il était tellement elle.

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