Le Polonais fou

Auteur(s) : Lotte Hammer, Søren Hammer
Editeur : Actes Sud
Sélection Rue des Livres

Un jour d’été ensoleillé, dans la baie de Copenhague, un bateau touristique heurte tragiquement un grand ferry en provenance d’Oslo. Lors de l’opération de sauvetage, il s’avère que parmi tous les corps repêchés, certains ne sont pas morts noyés. Quatre des passagers ont été assassinés. L’enquête est confiée à Konrad Simonsen et son équipe, rapidement déstabilisés par une découverte inattendue : l’affaire semble liée à la mort d’une jeune femme quelques années plus tôt. Un décès que personne dans la police ne jugeait suspect à l’époque, en dehors de la jeune inspectrice, Pauline Berg, qui s’était obstiné à essayer de résoudre l’affaire. Une obstination qui lui a couté très cher.

Traduit du danois par Frédéric Fourreau
23,00 €
Parution : Février 2022
448 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-5992-4
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Extrait

L’homme se tenait sur un pont, sur l’île d’Amager, et regardait en direction de la Marmorkirken, dont le dôme et la coupole dorés reflétaient l’éclat du soleil. Cela faisait des années qu’il n’avait pas mis les pieds dans une ville. Il s’y sentait mal à l’aise, vulnérable, et préférait les endroits inhabités, surtout les forêts. Il se retourna et scruta la courte portion de canal qui s’étendait jusqu’à Erdkehlsgraven, avant de bifurquer vers l’est et de disparaître entre Frederiksholm et Refshalevej. Les berges étaient envahies de hautes herbes. Il y avait aussi des buissons épars et un bouleau solitaire, au tronc arqué, qui s’accrochait à l’escarpement. Quelques enfants se baignaient dans le canal, il pouvait les entendre rire. Il estima la distance à au moins cinquante mètres. Ils seraient incapables de le décrire. Il les observa un moment, puis détourna la tête.
Lorsqu’il regarda de nouveau le canal, le bateau-mouche avait fait son apparition. Il prit une profonde inspiration. Il y avait des enfants à bord. Beaucoup d’enfants. Ils n’étaient pas censés être là, ce n’était pas ce qui avait été convenu. L’espace d’un instant, il envisagea de renoncer à sa mission, puis il serra les dents et les poings. Il avait une dette envers elle. Elle l’avait aidé et, maintenant, c’était à son tour de l’aider, il ne pouvait pas en être autrement. Loyauté, solidarité, amitié, rien d’autre n’avait d’importance.
Le saut fut bien plus court et plus facile que ce qu’il avait imaginé. Il atterrit en douceur et en parfait équilibre sur le toit d’une cabine, à la proue du bateau. De là, il bondit sur le pont, où il se laissa rouler entre deux rangées de sièges et se cacha. Peu après, il vit passer les trois mâts du Georg Stage, loin au-dessus de lui, tandis que la guide, en anglais, expliquait aux touristes qu’il s’agissait d’un bateau-école. Il essuya la sueur sur son front avec son avant-bras et compta lentement jusqu’à dix, tandis que son pouls retrouvait son rythme normal. Puis, avec difficulté à cause du manque de place, il se défit de son sac à dos, sortit son couteau et attendit tranquillement, tandis que le bateau se mettait à tanguer plus sensiblement. Il se dirigeait vers Bumløbet, où il virerait à tribord et mettrait le cap au nord, en direction d’Yderhavnen. D’une voix à la fois lasse et ironique, la guide raconta ensuite une anecdote à propos du sous-marin légendaire qu’ils pouvaient à présent voir sur leur droite, le Phoque, désormais transformé en musée, mais qui avait autrefois participé à la guerre d’Irak, les autorités danoises ayant eu la brillante idée de soutenir la coalition en envoyant un sous-marin faire la guerre dans le désert. Elle répéta la chute de son histoire, comme si elle en était particulièrement fière :
— Un sous-marin pour faire la guerre dans le désert !
L’homme caché entre les rangées de sièges s’y connaissait en histoire militaire. Ainsi, il savait que le fier Phoque avait déjà plus de quarante ans et qu’il n’était plus vraiment de la première fraîcheur quand on l’avait envoyé dans le golfe Persique en 2003. En cours de route, son système de climatisation était tombé en panne, si bien que son équipage avait dû supporter pendant plusieurs jours une chaleur de cinquante-cinq degrés, avec pour conséquence des mycoses, des abcès, des inflammations et des allergies. Dès sa mission terminée, le sous-marin avait été rapatrié à bord d’un navire de fret allemand. Mais le gouvernement était satisfait et des discours grandioses avaient été prononcés. Le Danemark aussi avait fait sa part du travail contre le terrorisme et la dictature, bravo ! Chapeau, le Phoque ! La rhétorique politique était de niveau international, tandis que l’appareil militaire jouait en quatrième division. Putain, cela le rendait malade.
Il écarta ces pensées et, à la place, se concentra sur une formation nuageuse de forme allongée qui dérivait dans le ciel. Lorsqu’elle eut tourné d’environ quatre-vingt-dix degrés, il se leva. D’un pas rapide, mais sans courir, il commença à remonter l’allée centrale du bateau. Avant que la guide ne le remarque et ne se mette à hurler, il avait déjà fait ses deux premières victimes. Le pilote eut tout juste le temps de tourner la tête avant d’être tué à son tour. L’homme s’effondra mollement sur le volant, tandis que son sang se déversait sur le tableau de bord. Ensuite, d’un mouvement vif, l’assaillant mit fin aux hurlements de la guide, d’abord en l’éventrant, puis en lui portant un coup à la nuque, alors que, stupéfaite, elle se recroquevillait et tentait de retenir ses entrailles. Alors, il se retourna et repéra le dernier passager adulte encore vivant. C’était une femme, une Asiatique, japonaise ou chinoise, il n’aurait su le dire. Il ne savait pas non plus s’il devait la tuer. Il ne ferait pas de mal aux enfants, c’était certain. Mais elle ? Il était dans le doute. Elle mit fin à son dilemme en sautant d’elle-même par-dessus bord. Il la vit battre des bras et crier dans une langue qu’il ne comprenait pas. Il jeta son couteau dans l’eau. Quel gâchis, un si bon couteau ! Il en était tellement content.

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