Le Couteau des sables

Auteur : Minos Efstathiadis
Editeur : Actes Sud

Le meurtre d’un inconnu dans les rues de Montmartre plonge les enquêteurs de la police française dans une impasse. De son côté, Théodore Richter, le jeune fils de la victime, tient à ce que les dernières volontés de son père soient respectées. Il engage le détective privée Chris Papas pour faire rapatrier le corps du défunt en Grèce, où il voulait être inhumé. C’est là, dans le cimetière d’un village grec, que Papas va mettre la main sur une vieille carte mystérieuse…
"Le Couteau des sables" est une plongée fascinante et trépidante dans les arcanes du marché noir de l’art et de la vengeance, entre Paris, la Grèce et l’Afrique.

Traduit du grec par Lucile Arnoux-Farnoux
21,80 €
Parution : Mars 2023
224 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-7740-9
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Extrait

Il vient juste de se mettre à pleuvoir, mais la rue, les voitures garées, les bâtiments, tout a l’air encore sec. L’eau prend son temps. Un homme marche d’un pas rapide, la tête légèrement baissée. Quand l’ombre mouvante apparaît à côté de lui, il est déjà trop tard. Les lampadaires de la rue Berthe sont loin, si bien qu’on ne voit pas la lame briller. Le premier coup l’atteint à gauche, au-dessus de l’estomac. Aussitôt le couteau s’enfonce de nouveau au même endroit, sans qu’il tente de l’éviter ni de lutter. Seules ses mains ébauchent en l’air un geste réflexe, se tendant pour saisir quelque chose d’invisible, quelque chose qu’elles ne parviendront jamais à toucher. Il titube. Le troisième coup de couteau, peut-être à cause du déplacement du corps, le frappe un peu plus haut. Même alors il ne fait aucune tentative apparente pour se défendre.
On entend, venant de derrière les immeubles, un bourdonnement continu, la respiration métallique de la ville. Après le quatrième coup, l’homme prend sa première et unique initiative. Il lève la tête pour regarder en l’air, tandis que simultanément il enfonce ses mains dans son manteau. Qui irait gaspiller ses ultimes forces pour tomber par terre les mains dans les poches ? Cela ressemble à un non-sens, à un message muet lancé par-dessus les toits : Je m’en vais, indifférent à ma fin.
Il est tombé sur le dos lorsqu’il reçoit les coups suivants. Le meurtrier n’est plus pressé. Il s’est agenouillé à côté de lui et le perfore systématiquement et obstinément autour du même point. On doit entendre au moins quelques gémissements de douleur, mais la pluie s’est intensifiée et couvre tout autre bruit. Durant quelques secondes, les deux têtes se touchent presque. De loin, le bourreau et la victime semblent sur le point de s’embrasser ou d’échanger un précieux secret. C’est parfois la même chose.
Deux jeunes gens d’une vingtaine d’années marchent d’un pas vif, pressés d’aller rejoindre leurs camarades des Beaux-Arts à une soirée. Ils sont les premiers à voir le corps affalé sur la chaussée. Aussitôt, ils reculent jusqu’au bord du trottoir et s’immobilisent. Ils tentent de lui parler, d’abord d’une voix normale, puis en criant. Le tas de vêtements grisâtres ne réagit pas, ne fait pas le moindre mouvement.
Sans oser l’approcher à moins de trois ou quatre mètres, ils appellent une ambulance. Quoique intimidés par la vue de la mort, dépouillée de l’éclat que lui confère habituellement le cinéma, ils se mettent à photographier et filmer avec leur téléphone portable. On entend l’un d’eux dire avec dépit : “Tu vas voir qu’on ne nous laissera pas les poster.”

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