Ainsi l'Animal et nous

Auteur : Kaoutar Harchi
Editeur : Actes Sud

Les animaux sont tout. Ils sont eux-mêmes, certes, mais surtout ce que nous faisons d’eux. Nous, les humains. Car chaque fois que nous parlons des animaux, nous ne parlons en vérité que de leur animalité : l’état animal que nous décrétons inférieur. Ainsi nous animalisons les animaux, nous les rendons tuables et sans peine nous les tuons. Cet état animal, affirment des humains, n’est pas le propre des animaux, il est également celui de certains humains. Ces autres : les femmes, les prolétaires, les minorités raciales qui, ni homme, ni bourgeois, ni blanc, ont été exclus de la communauté morale par le viol, par l’usine, par le fouet, par l’en fu mage des grottes, par la persécution et par l’enfermement. Car animalisés. Livre tout autant théorique qu’auto-bio graphique, Ainsi l’animal et nous appelle à reconnaître la totalité de la question animale, en laquelle toutes les questions de notre monde se rejoignent. Il devient dès lors possible de tenir ensemble tout ce qui va ensemble, de défaire tout ce qui a été fait. Puis de tout refaire.

22,00 €
Parution : Septembre 2024
384 pages
ISBN : 978-2-3301-9574-8
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Extrait

premier tableau
Les tours hautes, le soleil tout au-dessus.
La chaleur de l’Est plombait l’espace, formait un dôme et sous ce dôme, nous les enfants, pareils à d’heureux orphe- lins, des enfants libres, nous courrions en toute direction, battant des bras pour faire de l’air. Essoufflés, nous nous allongions sur la pelouse en pente qui bordait les immeubles et nous roulions sur quelques mètres. C’était bien.
Les filles, réunies autour des bancs de l’aire de jeux, étaient vêtues de robes à bretelles. Adossés aux voitures garées en contrebas, les garçons, bustes nus, portaient des shorts de toile colorée.
Les grandes, les grands, je me souviens, vivaient dans l’indifférence de notre existence. Ils étaient ailleurs, où nous sommes à l’adolescence, on ne sait véritablement en quel lieu si ce n’est loin de tout. Je revois toutes ces filles, tous ces garçons. Des jeunes réels, irréels, à l’ombre des grands peupliers. Et nous, les petites, les petits, de loin, nous les observions, les admirions. Nous aurions aimé être avec eux, peut-être même être des leurs, être comme ils étaient, être qui ils étaient.
De regards échangés en défis lancés, nous nous som- mes approchés à pas mesurés du grand toboggan et des abords du parking, pensant pénétrer bientôt dans le vrai monde, confiants en l’accueil que nos frères et sœurs nous réserveraient. Mais d’un coup, sans que l’on ne sache pour- quoi, nous avons été transpercés par de grands cris. Dégagez, dégagez de là ! Nous avons pris la fuite. Et couru, couru.
Pareils à un essaim d’enfants chassés du paradis, nous avons trouvé refuge dans l’entrée d’un immeuble.
Le temps de cette halte, nous avons ri, pleuré, remplis de quelle joie, de quelle peine, celles-là mêmes qui nous pous- saient à vouloir rester, partir. Que faire ? Entre les cou- rants d’air frais qui tournoyaient dans l’espace réduit des cages d’escalier et les longues allées dominées par le soleil d’août, nos cœurs balançaient. Au bout de plusieurs mi- nutes, l’une de nous finit par se lever et sortir.
C’était moi.
Elle m’apparut dans la clarté d’une magie entière. Bleue, ronde, posée sur une grande bâche de plastique noire, la piscine gonflable avait été installée par un animateur du centre culturel, là, à quelques pas de l’avenue plantée. Je fixai cette piscine, fermant, rouvrant les yeux, craignant qu’elle ne fût qu’un mirage. Lorsque l’animateur m’aper- çut, il m’appela et à mon tour j’appelai mes amis.
Leur surprise pareille à la mienne, totale.
Je nous revois sautillant, notre émoi à peine contenu. C’est que nous avions chaud, rien à boire et voilà qu’on nous offrait cette eau, toute cette eau, de l’eau fraîche pour nous, rien que nous, une eau où plonger, comme dans une rivière, une mer. Après la joie, la peur. Nous imaginions cette piscine profonde sans fond et nous ne savions pas nager.

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