Légitime démence
Entre manipulations, jeux d’ombres et vendettas secrètes, Novac s’engouffre dans la spirale du fanatisme militant. Jusqu’où est-il prêt à aller pour venger sa sœur et arrêter Bar ?
Dans cette enquête où chaque allié peut être un ennemi, la vérité ne laissera personne indemne. Un polar haletant, où la quête de justice vire à l’obsession, et où la folie se fait légitime.
Extrait
La commandante Catherine Novac ne croyait plus en son métier. L’incurie des gouvernants, la démission du pouvoir judiciaire et depuis peu le désamour de la population l’avaient vidé de son sens. Cette lente hémorra‐ gie ne l’avait pas empêchée de gravir les échelons. Elle s’était raccrochée à sa “loyauté”, ce mental du bon sol‐ dat qui veut par‐dessus tout satisfaire ses chefs.
La délinquance explosait, toujours plus violente. Les moyens de la combattre s’amenuisaient. Les auteurs d’infractions n’allaient plus en prison, d’ailleurs on s’in‐ terdisait de les traiter comme des voyous. Novac s’était conformée à toutes les règles, en particulier celle du “pas de vague”. Elle imposait les restrictions voulues par le politiquement correct, appliquait les consignes dépour‐ vues d’efficacité et alimentait des statistiques qui ne reflétaient plus la réalité. Le mensonge, c’était tout ce qui restait pour dissimuler l’impuissance générale.
Les officiers de son âge partaient à la retraite dès qu’ils le pouvaient. À l’inverse, Catherine rempilait, repoussait l’échéance. Elle s’adaptait, prolongeait sans oser réfléchir au pourquoi du comment. Cette femme avait tout donné, tout sacrifié à ce job. Durant les deux tiers de sa vie, elle avait “parlé police”, “copiné police” et trop souvent “couché police”. Le commissariat de province qu’elle dirigeait était devenu son unique maison. En dehors de celui‐ci, rien ni personne ne l’attendait, hormis son jeune frère, flic à Paris et tout aussi accaparé qu’elle. La haute hiérarchie préférait voir en Novac un cadre dévoué, plutôt qu’une détresse qui tôt ou tard éclaterait telle une détonation au fond d’un vestiaire.
Sa présence tardive au bureau, il était 21 heures, était habituelle. Elle s’y farcirait la paperasse, se rendrait à la salle de sport, dînerait avec les effectifs de nuit et regagnerait ses pénates. Ce soir un imprévu perturbait cette routine si bien réglée. Le bruit de ses talons résonnait dans les couloirs avec frénésie. Novac, qui d’ordinaire n’oubliait rien, avait omis de faire remonter le tableau des saisies de drogue de son secteur. Une simple formalité, la guerre contre le trafic de stupéfiants était perdue sur tout le territoire. Comptabiliser les quantités de produits appréhendés – une goutte d’eau prélevée dans l’océan – contribuait juste à sauver les apparences, un exercice auquel Catherine se prêtait avec soin.
Quelle qu’en soit leur utilité, ces résultats devaient être transmis !
À une heure pareille, les locaux étaient presque vides, lugubres. Seuls un opj de permanence et les patrouilles de nuit tenaient la boutique. Aucun d’eux ne serait en mesure de l’aider. Novac fonça à la salle de réunion. Elle espérait y trouver le capitaine Thierry Bar, son adjoint en charge des bleus, les unités de voie publique.
D’ici deux jours, ce collègue restituerait sa carte, son flingue, et tirerait sa révérence – en d’autres termes, la quille.
Catherine éprouvait une secrète jalousie pour celles et ceux qui savaient décrocher, surtout de cette manière.
Bien que ne venant plus qu’une semaine sur deux afin d’écluser son stock d’heures supplémentaires, Bar avait battu le pavé jusqu’au bout, coursé les suspects et interpellé ces délinquants que les juges remettaient en liberté.