Hors la brume
Un jeune couple est sauvagement assassiné sur un parking. Un rire retentit dans la nuit. L'enquête est confiée au commissaire Lanecquer dont les visions s'intensifient à mesure qu'une grave maladie le ronge. Dans l'une d'entre elles, il identifie une camionnette floquée et une étrange Trajectoire. Qui du Fleuriste dealer, du couple de vieux de passage dans la région pour suivre la migration des oiseaux, du groupe d'adolescents délinquants ou du flic entraîneur de foot est à l'origine des meurtres qui se succèdent dans la brume ?
Extrait
Ainsi commençait l’affreuse, la délicieuse comptine.
Croc, croc, croc, mon tout petit oiseau, Tu manges l’âme des morts.
Croc, croc, croc, dans ton pays secret, Tu tisses la route d’or.
Croc, croc, croc, c’est l’heure de la becquée, L’heure d’avaler les morts...
L’homme était lové dans la brume, les deux mains posées sur le volant, le véhicule à l’arrêt sur le chemin de terre. Il dominait la vallée. L’homme était un oiseau de proie immobile. L’obscurité avait la texture d’un ectoplasme. En contrebas, les réverbères de la route du lac taillaient le brouillard en grands V inversés. Il attendait depuis des heures à présent. Le temps n’avait pas de prise sur lui. L’homme était accompagné de sa délicieuse petite chanson.
— Croc, croc, croc, mon tout petit oiseau, tu manges l’âme des morts...
Il s’interrompit. Ses yeux de rapace perçurent un mouve‐ ment. En dessous de lui, les phares d’une voiture déchirèrent soudain la brume. L’homme se mit à rire – un long hululement dément – et des larmes de joie roulèrent sur son visage. Il se mordit fort l’intérieur des joues, rouvrant les cicatrices. Il caressa le marteau sur le siège passager.
La voiture qui venait de s’engager sur la route du lac était une Mercedes 200d, vert émeraude. Daniel était au volant.
Il portait son cuir, un tee‐shirt des Ramones et son visage ténébreux était rasé de frais. Il avait nettoyé sa caisse comme un forcené. Il était parti dans la matinée avec son petit frère (Joachim était le meilleur pour astiquer les enjoliveurs), et ils avaient passé deux heures dans la station de lavage. Le résul‐ tat était à la hauteur de ses espérances. Pas la moindre poussière, pas la moindre cendre ne reposait sur la moquette. Ce soir, c’était le soir, alors tout devait être parfait. Pour elle. Pour Célie.
Elle était assise à ses côtés. Elle avait balancé ses All Star blanches et elle plissait les yeux. Son regard glissait vers la route qui les dominait, sur sa droite. Sans savoir pourquoi, Célie cherchait à percer les ténèbres.
— Qu’est‐ce qui se passe ? demanda Daniel.
— Je ne sais pas. C’est comme si...
— Détends‐toi...
Il posa sa main sur son jean et la fit glisser lentement, vers l’intérieur de ses cuisses.
— Arrête, dit‐elle.
— Pourquoi ?
— J’en sais rien. C’est comme si quelqu’un nous observait de là‐haut, dans le brouillard.
